Ceci est la troisième partie du voyage Olive Tour de Bruno de Séré. Pour tout savoir sur la préparation de son voyage, les étapes 11 à 20, ne rien rater de ses bons plans, lieux et pistes/routes à ne pas manquer, je te donne rendez-vous à la partie 2 de ce voyage en suivant ce lien : Olive Tour partie 2
En attendant, place à la suite de cette incroyable aventure qui va te conduire vers des paysages aussi merveilleux que dépaysants.
Les bons moments du voyage : juste s’imprégner de la température d’une ville, être en contact avec des gens, les observer dans leurs activités, saisir une discussion entre deux amis qui parlent du poisson ramené du marché, capter des bribes de vie qui s’offrent à toi et s’en réjouir.
34 jours de voyage du 25.05.2019 au 27.06.2019
28 jours de roulage
ou 127h14
9301.7 kilomètres de route
2000 kilomètres sur mer
et 5 nuits sur les ferries
585,17 litres de carburant
soit une consommation moyenne de 6.29 l/100Km
19 jours de roulage
soit 90h23 en selle
Un des 5 pics à plus de 2000m entre Heraklion et la mer libyenne
Le panorama au détour d’une épingle au-dessus de Plaka sur la baie d’Elounta est d’une beauté étourdissante
La route de Prina à Ierapetra par Makrilia
À Domokos, la route offre une vue panoramique majestueuse sur la plaine agricole de Larissa.
Pas de visa nécessaire, juste une pièce nationale d’identité ou un passeport.
SECTIONS 1 À 21 // PITCH DU VOYAGE COMPLET
Distance : 9 301 KM
Difficulté : 3/5
ROUTE
À droite de cette case, un visu de l’intégralité de la trace de Bruno de Séré, trace téléchargeable via le lien ci-dessous “télécharger la trace GPS”
En dessous de cette case, chaque autre case vient raconter une journée de ce voyage exceptionnel.
Cette trace est une aide mais n’est une garantie, ni une assurance de rien. Les pistes peuvent avoir souffert.
Bon voyage.
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SECTION 21 // HERAKLION – PLAKIAS – HERAKLION
Distance : 262 KM
Difficulté : 1/5
ROUTE
L’idée du jour était d’aller fleureter avec un des 5 pics à plus de 2000m entre Heraklion et la mer libyenne. L’étude de la carte ne présageait pas une issue favorable. La montée est souvent sur une piste ou un chemin non asphalté, ce qui est facilement faisable mais le plus fâcheux est qu’il n’y a pas de bascule vers l’autre versant par un chemin plus ou moins carrossable. Je n’ai aucune envie de faire un aller-retour sur la même route. En outre, j’ai observé, pour la Crète, que malgré la dernière mise à jour installée, la cartographie de mon GPS (Garmin), pour les petites routes, est souvent déconnectée de la réalité du terrain. Entre les routes notées « off-road » et tout à fait praticables et une route ’normale’ qui est en réalité un chemin de tracteur, tout est possible! Comme la fiabilité du trajet est incertaine, j’opte pour le tour du massif montagneux avec un arrêt sur la côte sud à Plakias.
Jusqu’à Zaros, le paysage ne me procure pas d’émotion. Je pense que je deviens très sélectif dans mes choix et attentes. En revanche, la route réserve ses surprises. Ermeline chaussée de sa bonne paire de baskets, passe partout et très bien. Sauf que ce matin, sur une route en descente à l’asphalte laminé, j’entame un freinage et là c’est « holiday on ice », le lac des cygnes, belle maman en vrac dans le toboggan d’Aqualibi ou ta savonnette dans ta baignoire ; bref, ça gliiiiisse. La roue avant se dérobe inexorablement. Je m’y reprends une fois, deux fois et trois fois. C’est rigolo mais ça sent la cascade ; il y a du mercurochrome dans l’air ! Je dose, je me démène, je m’applique et hop ! Le virage est avalé. Le petit pic d’adrénaline passé, la post-analyse de la situation effectuée et la métabolisation achevée, je continue sereinement ma route. Un aléa de la route qui flatte mon ego par son issue positive et sa virtuose exécution (ami lecteur, aujourd’hui la modestie je me la mets derrière l’oreille).
Pour illustrer l’approximation de la cartographie, j’ai raté une bifurcation. Le GPS est bien réglé pour ne pas emprunter de chemin « non carrossable » sauf si je le spécifie. Il me propose de prendre la prochaine à gauche, c’est un chemin de terre et relativement praticable. Visuellement la situation semble claire et bien emmanchée. Je ne passe pas la moto en mode « off-road ». Au bout du chemin, le système me propose de reprendre à gauche pour regagner la route. Je m’engage et, au bout de 100m le chemin est singulièrement défoncé, demi-tour impossible. Sainte Ermeline grâce à ses chouettes baskets, son agilité et sa force herculéenne me sort encore d’une situation très scabreuse.
Halte et repas tardif de poisson à Plakias. L’endroit semble plus touristique et j’ai préféré le côté plus calme de Keratokampos. L’eau est toujours cristalline, les teintes d’indigo et de turquoise se marient à merveille. C’est un ravissement pour mes yeux. Retour à l’hôtel et soirée très tranquille après dégustation d’une « Piña colada » face au soleil couchant.
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SECTION 22 // HERAKLION – CRETA AQUARIUM
Distance : 1 KM
Difficulté : 1/5
A PIED
Lever difficile, je m’étire, je tergiverse, je prends le petit-déjeuner, je change trois fois d’idée sur le plan du jour et me rendors. Je pense à une longue balade vers la côte sud-est et, dans un grand élan de procrastination, je décide d’aller visiter le « Creta Aquarium ». Il est 13h30 du matin, j’émerge doucement. Le trajet se fera en taxi car l’attraction est à 14 kilomètres d’Héraklion.
Je ne suis pas un fan des zoos et autres formes d’enfermement, mais je trouve que, comme le feu dans la cheminée, l’aquarium a un pouvoir de relaxation et de « zénification » incroyable. Sans être un ichtyologue distingué, ce qui me fascine est d’observer se mouvoir, avec grâce, l’animal aquatique. Le site dispose de plusieurs aquariums géants. C’est comme un grand écran de cinéma qui saute au visage, des poissons en cinémascope ! Certains visiteurs font la visite au pas de course. Il me se semble que se hâter nuit à la perception du monde aquatique. Il faut s’imprégner de l’ambiance, se fondre dans le milieu pour apprécier l’ondulation chaloupée d’un mérou ou le glissé du squale. Petits, gros, mous, colorés ou camouflés, fins, longilignes ou aplatis, il faut du temps pour comprendre les scènes qui s’offrent à vous. S’assoir de longues minutes est nécessaire pour observer, capturer la subtilité des choses et ressentir. Un moment délectable.
Au retour, le taxi me dépose en ville. Je vais au bazar pour flâner. Retour à l’hôtel pour planifier mon opération laverie. A deux pas de l’hôtel, je demande par hasard dans une laverie s’ils pourraient me rendre ce service. Pour 10€ mon ballot de linge sera lavé, séché et plié et disponible dans 2 heures. Rien à faire, pas la peine d’aller courir au centre et patienter 2 heures au lavoir automatique. Je retourne heureux à l’hôtel de cette bonne opération et profite un peu plus de la piscine et d’un cocktail au soleil couchant mais ça, vous le savez car ça fait trois jours que je vous le dis !
SECTION 23 // HERAKLION – MYRTOS – HERAKLION
Distance : 228 KM
Difficulté : 1/5
FERRY
La route mise au banc hier est aujourd’hui d’actualité. La route côtière à l’est d’Héraklion est un chapelet de villes et villages balnéaires. Je n’y trouve personnellement rien de palpitant. Il a un goût artificiel et touristique qui ne me convient pas. Le paysage en devient banal. Je m’enfonce vers Elounta par de petites routes. Les choses commencent à me plaire singulièrement après ce moment un peu fade à mon goût.
Le panorama au détour d’une épingle au-dessus de Plaka sur la baie d’Elounta est d’une beauté étourdissante. La montagne et ses tons ocres plongent jusqu’à la mer. Les risées parent l’indigo de la mer de reflets argentés, le turquoise de la rade d’Elounta illumine la vue. J’exprime mon bonheur par une profonde expiration en baissant la tête, le poids de la beauté certainement.
J’emprunte une piste pour avoir une vue plus exclusive sur la baie. Ermeline est d’une virtuosité surprenante dès que la route devient cabossée. Il n’y a rien à faire, juste mettre du gaz. Sur cette côte, de Plaka jusqu’à Agios Nikolaos, les habitations sont plus cossues et la pression immobilière mesurée. Le paysage est plus épuré et serein. Il y a un petit air de « Costa Smeralda ».
Après cette incursion sur l’est, je fonce vers le sud. À un jour du départ, j’ai décidé de me baigner dans la mer libyenne. La route de Prina à Ierapetra par Makrilia est splendide. Sur les hauteurs d’Ierapetra on distingue des serres à perte de vue. C’est la partie maraîchère de la Crète. Des tomates en passant par les asperges jusqu’aux bananeraies, tout est sous serres. C’est un visage inattendu et surprenant de la Crète. L’environnement n’est pas touristique. Tout est tourné vers la production agricole. C’est un autre visage, une autre perspective qu’il faut aussi apprécier.
Arrêt au hasard à Myrtos pour m’y restaurer. Myrtos est certainement un ancien village de pêcheur qui a partiellement fait sa conversion au tourisme. Cela ressemble à une hybridation entre village traditionnel, et sa vie de tous les jours, et tourisme. En entrant dans le village, je cherche une route ou une rue en front de mer. Il n’y en a pas. Sur environ 100 mètres, des maisons donnent sur le front de mer, séparées par une allée piétonne. Les restaurants, tavernes et bars empiètent entre l’allée et la plage. Je gare Ermeline dans une rue transversale. Mon succulent repas sera fait de grillades au feu de bois cuisinées par les « mammas » aux fourneaux. Dans la bonne tradition matriarcale, c’est « la mamma » qui tient la caisse !
Dans un effort herculéen, je transite de la terrasse au transat, translation téméraire. Petite sieste et baignade. L’eau est divinement bonne, j’y rentre d’un seul coup. Trois cents kilomètres en face de moi, c’est Tobrouk ,mais pas de taxi pour y aller ! Je réalise aussi que je suis à la latitude de Bagdad ou à la frontière libano-syri enne. Des rêveries, des épopées qui pragmatiquement m’invitent à regagner Héraklion. La route en bord de côte entre Myrtos et Tresta, taillée entre montagnes et mer, a son charme.
Retour sur Heraklion. Temps calme puis direction le restaurant de poisson situé en face de l’hôtel. J’avais apprécié l’établissement, il y a deux jours. Je suis toujours aussi conquis. Rien de touristique. Ici, les autochtones sont en majorité. C’est simple et efficace. Tout est succulent. J’adore leurs courgettes façon frites et leur espadon juteux.
Comme hier, le lever d’une lune, rousse et pleine, offre un spectacle très romantique et d’une beauté saisissante.
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SECTION 24 // HERAKLION
Distance : 1 KM
Difficulté : 1/5
A PIED
J’embarque, en soirée, pour Le Pirée. Je profite de cette dernière journée, pour visiter, avant l’embarquement, le musée historique de la Crète. Je cultive le concept « biker » pseudo-intellectuel, c’est bon pour l’image. Je remarque que certaines rancœurs sont bien vivaces notamment à travers le vocabulaire. Je remarque qu’à différents endroits du musée la période gréco-romaine est indiquée en anglais « The forerunner Greek and Roman Period », puis est indiquée « Byzantine period », suivie de « the Arabic occupation », et de « Ottoman Period »; vient la « Venetian rule » et « Ottoman rule ». Après j’ai trouvé un « Turkish occupation », puis un « Cretan state » avant l’unité « grecque ». En revanche, pendant la deuxième guerre mondiale les Allemands ne sont pas indiqués comme « occupant », par exemple, mais sont indiquées comme « forces allemandes » face aux « forces alliées ». C’est certain que si tu froisses l’allemand qui a déjà claqué la TVA à 24%, il pourrait être plus coercitif. si tu le taquines. Bref, en tant que visiteur, et sans être immergé dans l’histoire grecque, j’ai bien compris le message que le turc a été un « occupant » et les autres civilisations des avatars historiques. Heureusement que les deux sont dans l’OTAN. Quand vous voyagez en Grèce vous noterez que le drapeau national flotte un peu partout.
À l’occasion de cette visite, j’ai par contre découvert Nikos Kazantzakis, un Crétois, qui a eu une vie à la trajectoire pas ordinaire. Élève de Bergson qui a souhaité comme épitaphe, que je trouve très goethéenne « Δεν ελπίζω τίποτα. Δε φοβούμαι τίποτα. Είμαι λέφτερος » – Nikos Kazantzakis « I hope for nothing, I fear nothing, I am free ». Cette réflexion me vient en tête: cette épitaphe est-elle une entorse à la doctrine de Bergson ? La soirée sera animée par Josiane à la médiathèque de Piau-Engaly jeudi soir. C’était l’interlude culturel.
Ultimes vérifications de la moto et j’embarque. La procédure d’embarquement est une formalité. Il y a bien le préposé sur le pont qui me demande 10 fois d’enclencher la première pour caler la moto. Après lui avoir répondu 11 fois que c’était fait, il fait enfin semblant de comprendre. J’ai toujours dit que le casque c’est comme le képi du militaire ça serre la tête et ça freine le développement de l’intelligence.
Le ferry est toujours un microcosme particulier qu’il est amusant d’observer, une tranche d’ethnologie particulière. Ce sont 100 histoires qui peuvent être contées. Il y a ce prêtre orthodoxe vêtu de son aube anthracite (pour mémoire, les prêtres n’ont pas besoin de voiture, car les vêtements sacerdotaux), visage spartiate, arcade sourcilière osseuse et saillante, barbe grise abondamment fournie, les yeux clairs, les rides burinées et habité d’un puissant charisme – le grand style pour parler jeune. La ribambelle de camionneurs venus des 4 coins de l’Europe est un poème. Les campeurs, les trekkeurs, les familles: tout se mélange, il y a un peu de l’arche de Noé sur ces ferries.
Il est 21h, nous partons pile-poil à l’heure. Après avoir profité du coucher de soleil et savouré l’air marin du soir, je vais tranquillement à la cafétéria pour me restaurer. Un message annonce que le bateau a fait demi-tour et retourne au port. Il n’y a pas d’autres explications, mais à bord c’est l’indifférence générale. Un fois à quai, je vais voir sur la plateforme arrière pour savoir ce qui se passe. Allait-on embarquer un VIP, débarquerons-nous quelqu’un ou devons-nous tous débarquer ? Le mystère plane.
A quai, la police portuaire est là avec quelques personnes. La plateforme du bateau s’abaisse, un gradé en blanc avec des galons dorés débarque; des membres d’équipage, quelqu’un en fauteuil roulant et des passagers le suivent. La scène est très embrouillée vue d’en haut. Les minutes s’égrènent, les choses semblent toujours confuses. C’est alors que le folklore commence. Un gars depuis le haut de la passerelle, qui trouve le temps long, balance des vannes en grec. Les locaux sont morts de rire. D’autres enchaînent et c’est l’effet boule de neige. Une blonde qui est sur le quai commence en avoir marre des quolibets et se retourne pour prendre à partie la foule. Là ça siffle, ça envoie des bordées de vannes; elle retourne dépitée dans le bateau. Au bout de 10 minutes, une ambulance arrive. Elle embarque la personne en chaise roulante et s’en va. J’ai noté l’hyper organisation et un timing remarquable. J’espère que c’était une urgence médicale absolue. La police portuaire semble retenir quelqu’un à quai. La passerelle se relève; nous repartons une heure plus tard. Nous ne sommes pas en mer depuis 30 minutes qu’une annonce est faite pour demander si parmi les passagers se trouve un docteur. Je trouve que, là, ça fait beaucoup pour un épisode de « la croisière s’amuse (love boat) » !
J’admire la lune, un disque rouge, qui se lève sur une mer d’un noir d’encre. Sur cette dernière image teintée d’un intense romantisme, je pense à Lamartine et vais me coucher. Peu importe demain à quelle heure j’arrive au Pirée ou ailleurs, l’astre du jour éclairera ma route comme un bon berger. Demain, je serai prêt et motivé comme un combattant montant dans la « cage » pour en découdre avec la « Remontada ».
SECTION 25 // ATHÈNES (PIRÉE) – MARIKOSTINOVO (BULGARIE)
Distance : 659 KM
Difficulté : 1/5
ROUTE
Suite aux péripéties d’hier soir, le navire a pris du retard. Je débarque à 8h, au lieu de 6h comme prévu. Dans le fond, c’est parfait, car j’ai dormi plus longtemps. L’avantage de la compagnie Anek, c’est que tu peux jouir de la cabine jusqu’au dernier moment.
Je m’échappe d’Athènes par l’ouest pour éviter d’emprunter l’autoroute qui passe par le nord et oblige un grand détour. Le trafic est dense, mais cela reste raisonnable pour une capitale. Il faut adopter une conduite engagée, comme les locaux. Les automobilistes, par habitude, sont attentifs aux deux roues et se poussent pour laisser le passage. Dans son ensemble, le Grec est bon conducteur dans son système. Au passage de la zone portuaire industrielle, l’air y est étouffant, il est fortement chargé en fumées et poussières. Je plains les habitants des environs ou ceux qui y travaillent.
Rapidement, je me retrouve sur les routes secondaires pour mon plus grand plaisir. Le paysage redevient méditerranéen, plus continental et moins crétois.
Je regagne l’autoroute pour faire « du cap » comme je dis. L’objectif est de faire des kilomètres vers le nord. L’autoroute suit le bras de mer qui s’enfonce vers Lamia. J’ai déjà exprimé mon désamour pour l’autoroute en moto. C’est certes pratique, mais usant et après 3 semaines, mon sentiment n’a pas changé. Ce morceau d’autoroute a quand même quelque chose de plaisant. On voit l’autre bord du bras de mer. Avec ces lauriers roses qui bordent la route. On peut s’imaginer sur l’autoroute qui borde le lac Léman. Au moins, la vue est belle et la police veille. Trois contrôles de police au radar en 100 kilomètres. Le régulateur de vitesse à l’avantage d’éviter l’excès.
Je devais suivre la direction de Thessaloniki et à Lamia, dans la confusion d’un échangeur, je m’engage dans une autre direction. Pour mon grand bonheur, mon erreur de navigation me fait couper par les terres pour une route plus courte. Une erreur qui se transforme en choix de maître ! La sortie de Lamia par le E65 se fait sur une large route qui tourne comme il faut. C’est le circuit de SPA ou Zolder, mais avec du trafic.
À Domokos, la route offre une vue panoramique majestueuse sur la plaine agricole de Larissa. À Larissa, rien ne pique sauf les cactus et le soleil ! C’est la Grèce des gens qui se lèvent tôt, celle des vrais travailleurs, ceux qui courbent l’échine pour biner, récolter ou nettoyer des hectares de production maraîchère. La moisson a déjà commencé ici. Les tracteurs, moissonneuses et botteleuses s’activent. L’azure découpe l’arrête des collines qui, habillées de leur jaune paille, ressemblent à des dunes. Je patrouille hors de la route pour glaner quelques belles photos.
Mon après-midi sera le jeu du chat et de la souris avec les orages. La fin est connue: tu perds ! Mais c’est toujours drôle de jouer. Sur mon flanc gauche, le ciel est très noir et quelques éclairs font leur apparition. Il commence à pluvioter. Je m’équipe pour la pluie, ou pas ; l’éternel dilemme du motard. Maintenant la pluie bat le tarmac de l’autoroute plus intensivement. Par chance, je me glisse dans un long tunnel et évite le déluge. À la sortie du tunnel, j’ai deux options : soit je change de vallée et l’orage est derrière moi, soit ça va être un beau rideau de pluie sur ma tête. Première victoire par l’esquive, l’orage est derrière moi.
En regardant la carte, j’ai plusieurs options pour regagner la frontière bulgare. Continuer l’autoroute ou prendre une route qui passe au pied des montagnes entre les deux Macédoines. J’opte pour la route frontalière. De fil en aiguille, en ravitaillant Ermeline à Kilkis, je remarque que je ne suis pas loin de la frontière avec la Macédoine du Nord (nom officiel depuis le 25.01.2019) et qu’une petite boucle autour du lac Dojran ajoute un pays au compteur et me fait quitter l’Union, une première en moto. Au moment où je démarre de la station, alors que la météo est claire devant moi, l’orage qui était dans mon dos me rattrape. Je me mets à l’abri à la station et attends. C’est un bel orage d’été avec éclair, bruit et beaucoup d’eau. Deuxième victoire par attentisme.
Je bifurque pour la Macédoine du Nord. Je remonte une interminable file de camions. Mon passeport biométrique n’est pas reconnu au poste grec. Le douanier essaye plusieurs fois et me regarde d’un drôle d’air. Visiblement lassé par ce problème technique, il me laisse passer. La zone entre les amis macédoniens est faite de barbelés et de grillage, comme dans un camp militaire. L’ambiance est posée. Le contrôle en Macédoine du Nord est pointilleux, les documents du véhicule sont passés au crible et l’ambiance n’est pas à la kermesse joyeuse. Finalement, je passe. La météo se gâte sérieusement. Je demande au douanier si je peux rester à l’abri pour mettre mon équipement de pluie. Cette fois pas d’échappatoire, chanceuse ou voulue, ce sera le déluge sur ma tête.
Tout juste équipé, ça claque dans tous les sens, les déflagrations sont répétées, successives et claquent comme des coups de fouet c’est un pilonnage en règle de la frontière. Le vent est tempétueux et forme une belle houle sur le lac sans parler de l’arrosage qui est très très généreux. Mon baptême avec la Macédoine du Nord est célébré dignement. Toute l’eau qui dévale de la colline noie la route. J’avance au mieux sur une route complètement inondée. Quelques voitures s’aventurent dans cette grande pataugeoire. Au plus fort, je m’arrête sur le bas-côté à l’abri du vent et laisse passer le cœur de la tempête. Au jeu du chat et de la souris, ce coup-là était pour ma pomme !
L’orage était si fort qu’il n’y a plus d’électricité dans les villages que je traverse. Pas d’électricité, pas d’essence à la station. Même si l’essence est ici à 1,09€ le litre, j’ai été prudent de faire le plein avant. En plus, s’il n’y a plus d’électricité, je renonce de trouver un hôtel dans la zone pour passer la nuit.
La route de Rabrovo à Strumica est superbe. Le paysage est plus vert que le versant grec. La route est encaissée le long d’une petite rivière, c’est charmant et bucolique. De la ville de Strumica jusqu’à la frontière bulgare, l’ambiance est fortement teintée « balkan ». Les standards et normes sont ici différents. Le temps de la Yougoslavie et d’aujourd’hui s’entrechoquent: voitures modernes côtoient sur la route les chevaux triant des carrioles; des maisons de bric et de broc jouxtent des villas plus modernes. Les contrastes se font face, c’est dépaysant. La surprise est le nombre de cigognes qui nichent sur les pylônes électriques.
La procédure de sortie de la Macédoine du Nord est tout aussi pointilleuse, mais c’est « relax ». L’entrée au poste bulgare est aussi bien contrôlée. La douanière est heureuse de me dire que son « beau-frère est français ». Honnêtement, dans la situation, j’ai été surpris et j’ai répondu « super » avec le pouce en l’air !
Côté bulgare, tout semble plus ordonné, plus soigné. L’ambiance est différente. Ici, il n’est pas tombé une goutte d’eau. C’est bien connu, les problèmes et les précipitations s’arrêtent aux frontières. L’hôtel Mantra à Marikostinovo, réservé au dernier moment, est déroutant. C’est neuf, très confortable, perdu au milieu de nulle part, entre autoroute et collines. L’hôtel dispose d’une piscine extérieure de 50m avec trois lignes d’eau. Un site parfait pour l’entraînement ou des stages des clubs de natation. Ce standing m’a paru très inattendu à cet endroit, mais c’était parfait pour ma halte. Ainsi s’achève mon dernier jour du printemps.
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SECTION 26 // MARIKOSTINOVO (BULGARIE) – PLOVDIV
Distance : 252 KM
Difficulté : 2/5
ROUTE ET PISTE
Je m’étais fait un plan approximatif de parcourir les routes de moyenne montagne entre Marikostinovo et la plaine de Plovdiv. Ensuite, je pensais remonter vers Oryahovo par le « Central Balkan National Park » et traverser le Danube pour entrer en Roumanie. Le départ fut tardif, car je souhaitais achever mon journal concernant la journée d’hier.
Dès le départ, des routes aux virages bien courbés s’offrent à moi. De Marikostinovo à Peshtrea, c’est un feu d’artifice. C’est plus de 200 kilomètres de grand régal, la kermesse aux virages. Le tout servi par un florilège de paysages plaisants. Des verts dans tous leurs dégradés. Au gré de la route, des sentiments restent en mémoire. J’ai été nostalgique à la vue de bûcherons qui font le débardage avec des chevaux de trait. Étonné par les antédiluviens camions Kamaz ou d’autres modèles de l’ère soviétique, poussifs, qui transportent valeureusement leur chargement de bois dans une odeur d’huile chaude. Impressionné, par les tailleurs de pierre qui remplissent des palettes bien au carré d’ardoises ou de dalles de schiste. Surpris par ces dizaines de fontaines d’eau aménagées où les gens, en fonction des vertus thérapeutiques, viennent remplir leurs bidons. Intrigué par un Mig-5 planté sur la place d’un village. Stupéfait par les parcs d’aquaculture dans les lacs. Après ce déferlement de belles images et d’émotions, la plaine agricole de Plovdiv paraît moins majestueuse. Toutefois, les images de cette partie agricole ont aussi leurs charmes. Les carrioles remplies de toute chose tirées par des chevaux, des ânes errant sur la route, les échoppes au bord des routes montées avec trois cageots et deux planches pour vendre les produits de la récolte sous le regard attentif des cigognes juchées sur leur pylône. Un grand patchwork de scènes. Comme disent les Belges cette journée « c’est un peu de tout » mais c’est une savoureuse Bulgarie qui m’a bercé toute la journée et surpris par sa beauté et diversité.
Arrivée à Plovdiv, sous les bons conseils d’amis, je souhaitais visiter la ville. Plovdiv est, comme Matera, ville culturelle européenne 2019. L’heure tournant, je décide de rester dormir ici et parcourir la ville. Demain sera une nouvelle aventure. Je verrai bien où le vent me guidera. Les joies de l’aventure sont impénétrables.
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SECTION 27 // PLOVDIV – RÂMNICU VÂLCEA
Distance : 493 KM
Difficulté : 2/5
ROUTE ET PISTE
Le mot “plaine” vient du latin « planus » donc relatif à ce qui est plan. C’est un peu le résumé de ma journée. Mais dans la platitude certains moments, contemplatifs, donnent du relief à la vie et d’autres sont plus ternes avec lesquels il faut composer. Ma route vers le nord de Plovdiv à Karnare rime un peu avec ennui. Les champs de blé et de tournesol égayent le paysage, mais ça ne nourrit pas son homme. À Karnare débute la route qui traverse le « Central Balkan National Park ». C’est un col de montagne qui offre une superbe vue sur la vallée.
À son sommet se dresse un monument. De loin, ça ressemble à un aimant géant tombé du ciel et planté dans le sol. Vu la distance d’où l’objet se voit, ça semble colossal. Je vais jusqu’au pied du monument pour en juger. C’est une arche, inaugurée en 1980, à la mémoire de ceux qui ont péri pour la libération de la Bulgarie. Il a donc fallu 7 plans quinquennaux pour ériger un édifice qui honore la mémoire des combattants ! L’arche est faite de blocs de ciment et toise 34 mètres de haut. Elle est typiquement d’inspiration et de style néo-soviétique. Des statues sont adossées à sa base et donnent de l’autorité et de la solennité. Le panoramique à 360° autour est éblouissant.
La difficulté après un moment si somptueux c’est comme en gastronomie, il faut garder le tempo, il faut y aller crescendo et ne pas laisser retomber le soufflé des émotions. Imaginez qu’après une poêlée de Saint-Jacques, suivie d’un canard aux morilles, le plateau de fromage dignement affiné doit s’accompagner d’un bordeaux de haut vol et d’un dessert qui doit achever cette symphonie en apothéose et dont je vous parlerai ultérieurement. Évidemment, le soufflé est tombé, une fois arrivé dans la plaine du Danube.
La plaine du Danube offre comme paysage d’impressionnantes parcelles de plusieurs kilomètres carrés, de tournesols, de maïs ou de blé qui s’étirent à perte de vue. Une urbanisation agricole, avec de longues lignes droites, fruit de l’héritage de la période des kolkhozes.
Pour rejoindre la Roumanie, et traverser le Danube, je décide de prendre le bac à Oryahovo. Il n’y a pas beaucoup d’autres solutions, car je n’ai compté que trois ponts très éloignés pour traverser la frontière bulgaro-roumaine. La procédure n’est pas compliquée, mais c’est un menu trois services. Contrôle bulgare pour la sortie, prise des tickets du ferry avec contrôle et contrôle roumain. Cela est effectué sur la berge bulgare. Il en ira de même sur l’autre rive. Je ne sais pas si c’est une déformation professionnelle, mais je vois de l’optimisation et de la rationalisation. Il y à peine 24 ans, on devait supporter ce cérémonial pour tous les pays de l’Union avant l’introduction de l’espace Schengen.
J’arrive une heure avant le départ du bac. Il y a une traversée toutes les deux heures. Une heure d’attente sur le parking en plein soleil par 34°C, c’est long ! Je cherche un peu d’ombre. Je profite de ce moment pour décider de ma halte du soir. J’irai jusqu’à à Râmnicu Vâlcea qui se situe presque au début de la Transfăgărășan. La Transfăgărășan est une route souvent répertoriée parmi les plus belles d’Europe. Je ferai donc ce monument de route demain matin par des conditions météo favorables et une température clémente. Une fois à Sibiu, j’aviserai de la suite des opérations. Si j’enchaîne une seconde boucle ou si je reste pour visiter la ville qui est réputée pour être parmi les plus belles de Transylvanie.
Depuis le 8 juin, j’ai quitté l’alphabet latin pour passer à des alphabets qui peuvent s’écrire avec des spaghettis et des coquillettes ! Même si je dois le reconnaître, beaucoup de choses sont translitérées en Grèce et en Bulgarie. De retour en Roumanie, je retrouve l’alphabet latin ce qui me facilite la lecture. Le premier contact avec la Roumanie est le tarmac. Le côté roumain est moins sautillant que celui bulgare, ce qui procure un plus grand confort. Jusqu’à l’hôtel c’est un enchainement de lignes droites bordées de champs et la traversés de villages ruraux. L’immersion dans cette ruralité roumaine offre des scènes touchantes. J’ai trouvé pleine de tendresse l’image du cigogneau qui sort la tête du nid ou se met debout sous la vigilance attentive des parents. Le début de l’apprentissage du vol afin d’être prêt à entreprendre ces inlassables va-et-vient migratoires entre le nord et le sud.
Moi, je rédige, je profite du coucher de soleil et de la vue sur les montagnes. Devant moi se dresse le dessert que je vais déguster demain. C’est comme les cadeaux sous le sapin de Noël. Ils sont là! Il suffit, juste d’attendre l’heure, pour mettre de la lumière dans les yeux. J’imagine la Transfăgărășan comme un Saint-Honoré à la crème finement parfumée à la gousse de vanille, mes papilles en tressaillent de joie. Ce soir, c’est mon réveillon. Demain c’est noël.
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SECTION 28 // RÂMNICU VÂLCEA – SIBIU
Distance : 344 KM
Difficulté : 2/5
ROUTE ET PISTE
Aujourd’hui c’est Noël, mon Saint-Honoré est prêt. Je vais attaquer la Transfăgărășan. Le départ est contrariant. J’ai mal fermé ma sacoche de réservoir et mon téléphone glisse et s’offre une séance de surf sur environ 50 mètres sur le tarmac. L’écran de protection a fait son travail. En revanche, le téléphone a l’air souffrant, son comportement est très erratique. Sans téléphone, il n’y a pas de photos, pas de réservation d’hôtel, pas de visualisation des cartes et pas de communication. C’est assez fâcheux. Il faut être philosophe. Les choses étant ce qu’elles sont, il convient d’avancer. Après avoir admiré, sur la route qui me conduit au col, le vol gracieux des cigognes tournoyantes dans le ciel et apprécié les différents marchands qui vendent une large gamme de produits qui vont des tomates aux cerises en passant par les champignons, j’entre rapidement dans le vif du sujet.
En ce jour dominical, il y a un peu de trafic. Chacun y va de son barbecue, de sa séance piquenique, de la séance photo devant les cascades ou des névés, les scènes traditionnelles dans les cols de montagne. C’est un plaisir de conduire et d’admirer ce paysage brut.
Sur un bout de ligne droite, une voiture est arrêtée les warnings allumés. Je ralentis et cherche du regard l’obstacle à éviter. Plus je me rapproche et je remarque que le conducteur a les mains sur le volant et n’en mène pas large. Ma surprise fut assez grande quand je vois un ours sauvage bondir de derrière la voiture. Petit coup de gaz, coup d’œil dans le rétroviseur pour savoir comment essorer la poignée de gaz, le cas échéant. Il semble vouloir rester près de la voiture. Je m’arrête peu après. Je regarde la scène en laissant une vitesse engagée. Je tiens à garder l’initiative surtout en cas d’idées loufoques de la bête. Certes, ce n’est pas un grizzli de 500Kg mais, quand tu vois le bestiaux qui doit faire dans ses 120-150 kilos, et surtout quand tu as vu la taille des pattes et des griffes, la prudence te rappelle rapidos à l’ordre. En voiture, c’est peut-être une situation stressante, mais tu as une carrosserie. En moto entre lui et toi, il n’y a rien ! Un ours en captivité est plutôt sympathique et sous contrôle. Ici, je ne connais pas ses intentions. Est-il stressé? Affamé? Autant de question sans réponses. Je décide de sortir mon téléphone, qui agonise, et de tenter la photo. Main droite sur le téléphone et main gauche embrayée. Au moindre mouvement hostile, je lâche le téléphone et je dégaine « gaz ». Photo par-dessus l’épaule et ciao. Ami lecteur derrière ton écran ça peut paraître cocasse, tu peux railler l’aventurier, mais quand tu vis la scène sur ta moto, tu es très vigilant.
Comme la petite bête, je monte, je monte, je monte. Un panneau indique 3km avant le « Lacul Bâlea », le sommet, qui indique la bascule vers la vallée de Sibiu. De plus en plus de voitures sont garées sur le bas-côté. Je me faufile, j’avance et … le tunnel est fermé, demi-tour obligatoire. Des Anglais en moto devant moi sont dépités. Je n’ai pas d’amertume, je suis déçu. C’est comme si tu arrives à la pâtisserie pour prendre ton Saint-Honoré et il est trop tard, c’est fermé! Je pense à l’indigo et au bleu cristallin de la mer libyenne, au turquoise du Péloponnèse, je souffle. J’ai horreur de faire et défaire. Le demi-tour c’est exactement 244 kilomètres, plus les kilomètres pour rejoindre Sibiu. J’aurai roulé plus de 4 heures sur des routes de montagne exigeantes pour revenir exactement à mon point de départ. J’ai de la compassion pour les 3 cyclotouristes qui me précèdent et pense à leur plan de route qui vient d’être sérieusement chamboulé.
L’aspect positif : c’est beau! Et la descente m’offrira une autre perspective. En revanche, je suis heureux de n’avoir aucune obligation. Le même scénario avec des obligations d’hôtel, la balade passe de la belle journée au cauchemar. Je suis certain qu’il n’y a pas de panneau qui indique que le col est fermé. Lors d’une pose improvisée, un roumain en voiture, qui montait, m’a demandé, d’abord en Roumain, puis en anglais si la route était ouverte. Enfin en descendant, j’ai scruté tout ce qui ressemblait à un panneau et rien nada. C’est la vie, l’aventure, il faut prendre ces instants avec philosophie et peut-être qu’un jour, au fin fond du Kirghizstan, le demi-tour nécessitera plus de kilomètres sur des pistes pour rejoindre le Kazakhstan. Cela n’est peut-être qu’un entraînement pour le futur.
Je souffle un moment à la station à Râmnicu Vâlcea pour évacuer ma déception et réviser mes plans. Je décide de faire un maximum de route et d’aller dormir à Timisoara par l’autoroute. Journée perdue, pour journée perdue, autant se faire du mal jusqu’au bout et s’achever avec 300 kilomètres d’autoroute. La route nécessite de passer par Sibiu avant d’engager l’autoroute pour Timisoara. La route qui mène à Sibiu serpente le long de la rivière. Elle est plaisante malgré le trafic du retour de week-end. L’architecture, l’ambiance changent en approchant de Sibiu. L’atmosphère est moins rurale. Dans le défilé qui conduit à Sibiu, j’essuie une averse ! Je m’équipe et me dis que, là, la coupe est pleine. J’irai dormir dans le premier hôtel à Sibiu que me propose le GPS dans sa liste. J’ai de la chance c’est le « Continental Forum » à l’entrée du centre historique.
Mon avis est que cet orage fut une chance, car j’aurais manqué la visite de Sibiu. Cela fait bien des années que je n’avais pas visité une aussi belle ville. Je sais que j’ai des amis de Sibiu et mon avis est complètement indépendant de ce facteur. Le réceptionniste, de l’hôtel, m’informe que ce soir c’est le dernier jour du festival. Il y a des spectacles en ville et un feu d’artifice sera tiré en face l’hôtel.
En entrant dans la vieille ville, j’entends un bagad jouer. Cette musique, à l’âme puissante, se marie à merveille avec l’architecture d’ici. De Quimper à Sibiu c’est exactement un moment de forte émotion qui m’a réconcilié avec cette journée spéciale. Quelques mots avec un batteur du bagad qui vient du Morbihan, on se serre la main et nous terminons par un « Kenavo ». Le spectacle qui a provoqué mon hilarité, c’est la fanfare militaire italienne. Affublés de leurs chapeaux, surmontés de plumes d’autruche, ils entonnent de la musique militaire. En sachant que la musique militaire est à la musique ce que le fast-food est à la gastronomie, je frise le coma. Si, en plus, les emplumés entonnent de la musique latino, on bifurque dans le militaro-burlesque et cela pourrait virer à la revue de cabaret, les plumes pourraient riper… qui sait ! Sans parler de la « gaie » chorégraphie exécutée entre deux morceaux !
Je trouve que cette ville a un air baroque, par les couleurs pastel de ses maisons et, en même temps, un parfum germanique. L’architecture des différentes époques n’est pas une juxtaposition ou un bric-à-brac c’est l’harmonie qui domine. Je suis étonné de la qualité de préservation de la ville. Il y a une belle âme. Une très belle découverte. Impossible d’être déçu par un séjour à Sibiu. Demain, je vais essayer de faire réparer mon téléphone (pas de vidéo pour l’instant) ou en acheter un nouveau. Comme on dit en patois ariégeois, « Oui Kip Inn Teutche »
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SECTION 29 // SIBIU – BAJA (HONGRIE)
Distance : 538 KM
Difficulté : 2/5
ROUTE ET PISTE
Avant de quitter Sibiu, je fais décabosser le châssis du téléphone et remplacer la batterie. Il semble revivre. Je pourrai, à nouveau, faire les photos de mon périple dans des conditions moins épiques. J’ai dégoté une échoppe située dans une arrière-cour qui effectuera le travail. L’endroit est une agora qui collecte les petits tracas technologiques du monde. Pour y avoir patienté quelques minutes, le lieu est un poème. Tous les âges toutes les strates de la population s’y retrouvent. Sans comprendre un mot de roumain, l’expression des visages et le « body language » des différents acteurs est une merveilleuse tranche de vie. Du père accompagné de son jeune fils, affublé de leurs grands chapeaux, au look très vacher qui recherchent une batterie; un jeune avec un téléphone qui fait « ding-dong » sans arrêt; une personne plus mature qui semble très confuse avec l’usage du téléphone … des dizaines de clients et chaque fois c’est une scène à écrire. J’ai adoré ce moment humain et très connecté à notre temps entre le « moi » et la technologie. Cette petite escapade me permet d’apprécier, au matin, une dernière fois le centre historique, c’est toujours aussi beau !
J’emprunte l’autoroute pour rejoindre Timisoara. Ce nom « Timisoara » est chargé de sens pour moi. Lors du soulèvement populaire de 1989, le drame qui s’était joué ici avait été abondamment couvert par les médias et ce nom est resté encré en moi avec son empreinte historique. Ce fut aussi mon premier éveil au monde de l’Est, en dehors de notre très formaté et orienté cours d’histoire.
Quitter Sibiu se fait par une autoroute à la « française ». Le tarmac est parfait, un vrai billard qui rend la conduite reposante. Le paysage est superbe. Entourée des montagnes au loin, la plaine est parsemée de champs. Plus j’avance vers l’Ouest plus le contraste avec le sud de la Transylvanie est évident. Quand je vois les champs inondés de part et d’autre et les grandes flaques d’eau autour, je pense qu’il a plu abondamment hier soir ici. L’arrêt sur Sibiu fut donc une double bénédiction. L’autoroute s’achève et ces quelques kilomètres par une nationale, ce qui rompt la monotonie avant de rattraper une autre section qui me conduira à Timisoara. Je remarque que j’ai développé un sens, une « intuition » pour faire le plein de carburant, en temps, qui s’avère très utile.
J’avais décidé de faire une incursion en Serbie par curiosité et pour l’ajouter à la liste de mes pays. Je n’avais aucune idée à quoi m’attendre. J’étais juste animé par la curiosité. L’entrée au poste-frontière est sereine. En revanche, vu la file de camions (1,5Km), l’entrée ou la sortie, cela semble administrativement plus compliquée. Le petit écusson que j’ai apposé sur ma manche avec mon nom, ma nationalité et groupe sanguin est parfois utile. La discussion s’engage avec le douanier, qui a un air de Djokovic, sur la France et mon périple. Mon passeport est tamponné fermement et me voilà en Serbie. L’ambiance est radicalement différente et c’est le dépaysement qui prime.
L’architecture est composée essentiellement de maisons de plain-pied, assez basses, carrées, avec des toits à deux pentes. Elles ont un air de maison vendéenne. Ce côté de la Serbie est plat. Les gens s’y déplacent visiblement beaucoup à vélo. Il y a un esprit « Pays-Bas », la densité urbaine en moins. Le paysage est agricole. L’ingénieur urbaniste n’avait qu’une règle et une équerre pour dessiner les routes, des routes coupées à la « Serbe » quoi ! Ce qui m’a semblé évident, c’est l’ambiance tranquille, reposante et calme.
Je décide de passer, par un petit poste-frontière, plus à l’Ouest et de m’arrêter à « Baja » en Hongrie. J’ai juste choisi l’endroit car ça sonnait Mexicain et que, dans le contexte actuel de murs et grillages, cela était un petit pied de nez à nos amis hongrois. Avant la frontière serbo-hongroise, des dizaines de lièvres sautent par-dessus la route. Des envies de civets me traversent l’esprit. Le passage Serbe est très tranquille, la fin du service était proche, tamponnage et en route pour le check point hongrois. Dans la zone neutre, il y a un portail et dessus sont indiquées les heures d’ouverture du poste frontière hongrois, il ferme à 19h ! J’ai de la chance j’ai une heure d’avance de ma nouvelle heure ! Ceci est une bonne expérience pour le futur : vérifier l’heure de passage aux frontières. Je sais, par exemple, qu’il existe des restrictions saisonnières et que certains passages sont interdits aux étrangers sur la route de la soie.
Le Macédonien du nord est pointilleux mais le Hongrois ne déroge pas à la réputation du douanier. Nous le savons : le douanier est un gendarme qui a raté le concours d’entrée dans la gendarmerie. Il me demande d’ouvrir mes valises latérales et de sortir mes bagages. La fouille est sommaire vu le cubage que j’ai ! Et puis vient la question planétaire, celle où ton self-control est nécessaire « transportez-vous de la viande ? ». J’avais envie de répondre « les kilos superflus ça compte ? », mais je me suis ravisé, car il est armé et pas moi ! J’ai répondu non ! Il me semble que sur une moto, cacher un quartier de bœuf, c’est assez compliqué ! Il me demande où je vais. Pour illustrer que le douanier est mono tâche, je lui explique que je viens du Luxembourg et que je suis allé en Crète. Il se satisfait de la réponse et me souhaite bonne route. C’est là la différence entre le douanier et le gendarme. Le gendarme n’aurait pas oublié la première question : où je vais ?
J’arrive à mon hacienda à Baja. Ici pas de désert. Une petite ville bien propre avec sa place principale et ses gros pavés, ses maisons néobaroques, sa rue piétonne, la vie simple et tranquille. En ce jour finissant, les joggeurs, marcheurs, kayakistes vont le long de l’arc que forme la rivière. C’est un spectacle et une ambiance apaisants. Retour à 20h05 au restaurant de l’hôtel qui esy désert. Enfin un truc désert à Baja! Le serveur m’informe que le restaurant est fermé depuis 5 minutes. Il ne manque qu’un message sonore en arrière-plan « en raison de mouvement social, l’hôtel n’est pas en mesure d’assurer les services escomptés, nous nous excusons de la gêne occasionnée, …. ». Je me rabats sur le restaurant à côté, sous l’œil et le dard aiguisé des moustiques.
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SECTION 30 // BAJA – MARIBOR
Distance : 466 KM
Difficulté : 2/5
ROUTE ET PISTE
Je n’ai certes pas l’étoffe d’un Moitessier, ce seigneur des mers, mais sur mon modeste océan de goudron, ça fait exactement un mois que je navigue et ai sillonné plus de 4000 miles nautiques. Je savoure ce moment et repasse en mémoire les instants qui m’ont nourri de bonheur. Je regarde bienheureusement Baja qui s’ébroue de sa nuit. Je prends mon petit-déjeuner sur la terrasse avec la vue sur ce bras de Danube qui, tel un coude, vient s’échouer comme une caresse sur la rive. Marcheurs et joggeurs profitent de l’air frais du matin. C’est un grand calme qui demeure. Je rédige mon blog de la veille et profite simplement de cette atmosphère apaisante. Je rejoindrai le nord du lac Balaton et je prendrai le ferry. Cela fait longtemps que je n’ai pas été sur l’eau ! La route qui descend le lac sur la rive droite semble plus prometteuse.
Mon GPS est un cabot ! Il est parfait pour sortir d’une agglomération ou trouver une adresse précise. En revanche pour naviguer, ce n’est pas un aigle, mais un infirme de la comprenette ! Malgré un paramétrage étudié, il s’échine à passer par les centres-villes, couper par une rue pour gagner 20 mètres pour ne pas aller jusqu’à la prochaine intersection, sans parler de la soit-disante mise à jour où il s’invente des autoroutes et des routes carrossables. C’est globalement un bel outil, très utile pour les grands axes, mais assez perfectible pour faire du tourisme à vue.
À ce petit jeu, mon guide me fait bifurquer sur une petite route. Elle semble au début orthodoxe et de bonne famille, mais sur sa moitié elle décide de se montrer plus rebelle pour se montrer fortement dévergondée par la suite. Je ne roule pas vite, mais il y a un peu de rythme. Devant moi surgit une saignée d’environ un mètre de large et 30 cm de profondeur. De KTM à KLM, il n’y a qu’une seule lettre et j’ordonne à Ermeline de s’envoler. Elle s’envole et atterrit avec force. Cette moto ne cesse pas de m’étonner, elle est magique. Un peu plus d’un kilomètre plus loin, je regagne une portion de terre plus roulante. Je trouve l’équilibre de la moto légèrement différent. Ma valise latérale gauche n’est plus là, envolée !
Sous le choc, elle a dû se décrocher et aller valser dans le champ. Je fais demi-tour fissa, car j’ai tous mes vêtements et mon Mac dedans. Je croise un gars en mobylette, en galère sur ce chemin défoncé, que j’avais doublé au début. Il m’explique, en hongrois, que vraisemblablement, j’ai perdu quelque chose. Je fais un signe de la main en signe de reconnaissance et file à la fatale saignée. La valise gît là sur son flanc. Des traces de terre comme stigmate de sa cascade, le couvercle ouvert comme une huître agonisante, l’air souffreteuse. L’animal est blessé, mais vit encore. Une patte de fixation a visiblement cédé sous le choc.
Il fait 34°C et je suis en plein soleil au milieu de nulle part. Évidemment, le noyer qui pourrait me faire de l’ombre est planté du mauvais côté du champ. Je dégouline. Je prends des bouts de cordes de ma trousse à outils et fait une réparation de fortune. Je m’assimile aux frères Mareaux dans les premiers Dakar, au milieu du désert, le nez dans le capot de la 4L en train de régler un problème mécanique. L’aventure commence maintenant.
Le dernier producteur d’huile d’olive sur ma route de retour est la Slovénie. L’Olive Tour 2019 s’achève donc ce soir à Maribor. Pour célébrer, je m’offre le repas gastronomique au restaurant sur le toit de l’hôtel. Un excellent moment. Demain, je gagnerai l’Autriche mère partie d’Ermeline. Elle passera devant la maternité où de brillants ingénieurs lui ont donné vie.
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SECTION 31 // MARIBOR – ATTERSEE
Distance : 418 KM
Difficulté : 2/5
ROUTE ET PISTE
De Maribor à Attersee, ce fut une journée de pure jubilation. La fête à la sérotonine, le bonheur continu, la joie à en rire tout seul dans son casque. S’enivrer de courbes et se saouler de la beauté des paysages tel fut le programme. Ermeline, sentant le paddock fut très en jambe, étincelante et admirable comme chaque jour. Devant autant de panache, je me sens comme l’humble serviteur de ce pur-sang racé.
Adorable Slovénie, sublime Autriche, vos monts sont de douces lignes sur l’horizon, vos paysages d’admirables camaïeux de verts. Majestueuses montagnes qui s’élèvent vers les cieux, sublimes lacs blottis au creux des vallées. Même sous une chaleur accablante, à laquelle je me suis habitué, j’apprécie ce privilège de savourer ces plaisirs.
Aujourd’hui, devant tant de beauté et dans un moment de grâce, le péché d’orgueil m’a envahi. Anakin Skywalker a traversé mon esprit. Le côté obscur de la force j’ai exploré. Devant moi, je vois 4 motos filer bon train. Je reviens sur le groupe. Deux roadsters et deux GS. Les pilotes de GS sont en combinaison de cuir. Je trouve ce groupe trop bien endimanché ! J’observe dans cette descente de col virevoltante mes lascars. D’un coup de mon sabre laser, les deux mariachis en roadster sont hors-jeu. Visiblement, les deux GS décident d’allonger l’allure. J’observe, j’engrène, je harcèle. Sur un coup d’estoc, le deuxième combattant rend les armes. Ermeline piaffe et demande d’en finir avec les enfantillages. Le sabre laser aiguisé, comme à l’échafaud, la décapitation du dernier combattant sera une démonstration triomphante – déconcertante facilité. Maître Yoda faisant la moue devant cette incartade, la paix revient en moi. J’ai le sentiment que je viens de refermer le portail du lycée derrière moi, une dernière fois, en sachant qu’un pan d’histoire vient de s’achever. Je n’ai rien à prouver.
L’hôtel sur l’Attersee, les pieds dans l’eau, offre une vue admirable sur le lac et les montagnes. La frénésie du jour s’estompe, la clarté s’assied dans son sommeil. J’inspire cette vibration et jouis de l’instant. Lamartine, mon ami, toi virtuose de la poésie, romantique transi, tes célèbres verts du lac auraient dû venir s’échouer ici. Les chaudes couleurs pastel d’un soir d’été auraient réchauffé ton âme, l’éther et la magie des lieux auraient pansé ton spleen.
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SECTION 32 // ATTERSEE – LUXEMBOURG
Distance : 724 KM
Difficulté : 2/5
ROUTE ET PISTE
Avant d’achever le dernier acte de ce périple, je visite le musée KTM, à Mattighofen, tout fraîchement inauguré. L’architecture est moderne, faite de courbes, d’acier et de ciment, c’est très réussi. La taille humaine du bâtiment rend la visite agréable. La salle des pilotes qui ont fait la légende de la marque est saisissante. Il y a un mannequin à l’échelle 1 du pilote à côté de sa moto. Le nombre de titres de champion du monde dans les différentes catégories où la marque s’est engagée est impressionnant. Peu d’autres marques peuvent s’enorgueillir d’un aussi beau palmarès multidisciplinaire. Ici, c’est l’expression de l’Europe qui gagne, le triomphe de la technologie et celle d’une pépinière de pilotes talentueux incubés par la marque: éblouissant !
Mes pneumatiques étaient ma préoccupation pour cette fin de séjour. Je pensais devoir les changer durant mon voyage. Il semble que je vais pouvoir les mener jusqu’à la fin. Je ne consommerai donc pas ma journée de « sécurité » que je m’étais allouée pour un repos complémentaire ou une séance mécanique. Mon périple fera donc 34 jours.
J’emmanche l’autoroute à l’est de Munich pour rentrer sur le Luxembourg en passant par Stuttgart, Karlsruhe, Pirmasens et enfin Luxembourg. Cette route sera jalonnée des interminables bouchons à l’approche des grandes villes, les ralentissements, les travaux, tout ceci dans un trafic assez dense et une température de 33°C—36°C, comme tous les jours depuis 3 semaines. J’adopte une vitesse de croisière constante comme un coureur de fond afin de trouver le bon compromis entre vitesse, fatigue et consommation. Le temps m’a démontré que c’était l’équation gagnante.
Le régulateur de vitesse calé, je vais droit devant. Le seul spectacle offert par la route, dans ce monotone ronron, est celui des bolides qui lâchent leurs chevaux. Toutes les marques de luxe sont à la fête de Bentley à Aston Martin en passant par Porsche ou Ferrari, tel fut mon plaisir. Il manquait les sublimes McLaren à ce tableau. Côté « old-timer », j’ai été gâté : deux 300SL roadster (58), l’une sur la route et l’autre sur un plateau, et une Porsche 356c speedster. Que du beau monde !
Le passage à la frontière luxembourgeoise me donne un sentiment de grande plénitude. La satisfaction d’avoir accompli une épopée peu ordinaire. Le retour à la maison me donne l’impression que ma chambre d’hôtel est plus grande que d’habitude !
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