Je me suis mise à la moto par mégarde, au milieu de quelques emmerdes financières. Épaulée par deux 125’ards, j’ai passé la formation comme ça, un jour de Mai 2020. J’ai roulé en Yamaha YBR, d’abord pour aller chercher le pain. Puis en Daelim Roadwind, pour suivre les copains en week-end limousin. Et enfin, en Honda Varadero, pour aller faire des chantiers au fond de la montagne ardéchoise.
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Ce voyage jusqu’en Slovénie, on l’a fait à trois : Charlie, Bryan et moi (Lucille). Ça a surement dû commencer par une blague, un itinéraire Goog.Map avec l’option « sans péage », puis un cap ou pas cap ? Ça, c’était en me regardant. Parce que les deux compères partent en Suzuki DR 650 et en Yamaha Fazer 600. Et comme 5 000 bornes en 15 jours en 125, c’est intenable, je dois passer le gros permis qui fait peur. Cap.
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Une semaine pour avaler le code, un mois et demi pour poncer le plateau et claquer la circulation. Victoire ! Pompon obtenu le 26 Juillet, dix jours avant la date de départ. C’est après que ça se complique. Mon Suzuki Freewind 650 décide de lâcher l’affaire : pompe à huile HS, moteur éclaté. Je me tâte avec la Varadero. Pas longtemps : le boitier cdi qui lâche. Quelques feux de forêt, une canicule écrasante, les prix de l’essence qui flambent, la guerre dans l’est de l’Europe… la motivation s’émousse.
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On n’est pas prêts, le départ est dans trois jours. C’est à ce moment qu’un certain Mathieu me dit, clope au bec : « Bah, je te prête la Zontès si tu veux ! ». Tu sais, le 125 scrambler jaune de 2020, sans bulle, ni porte-paquet, acheté à la sueur de son front et à peine rodée avec ses 5 307 bornes. Allez, cap !
La Slovénie, moi, je trouve que ça sonne bien. Ça fait exotique. L’internet dit qu’on est dans l’espace Schengen et que l’essence y est moins chère en ce moment. Allez, on t’emmène. Car après tout, si ce voyage s’est lancé comme un défi, cet article en est un autre, de défi : je n’avais pas prévu de te raconter quoi que ce soit. J’allais montrer quelques photos en soirée, en saouler quelques-uns avec mon plus bel accent slovène et tracer la carte de nos pérégrinations au feutre. Basta. Et puis Charlie de me demander « alors, cet article sur Kap2Cap ? ».
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C’est vrai que Mr Cochet, on aime bien suivre ses escapades. J’ai gratté un peu la carte des aventuriers et j’y ai trouvé de beaux paysages, de belles motos, de la préparation, de la méticulosité. Et je me suis dit que ça manquait un peu de désordre et de naïveté. Alors voilà. Si je t’emmène en Slovénie, qui que tu sois, cet article est surtout pour toi, petit prolo sans matos. À tous ceux et celles qui voudraient bien, mais qui n’peuvent point : c’est pas les valises en alu qui nous manquent.
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C’est un fond de courage, des sacs plastiques et deux copains pour rigoler. Et puis tant qu’à faire, j’en profite pour mettre une petite chose sur la table. Cette petite chose, c’est ce qui nous a permis d’aller si loin avec très peu : le camping sauvage. Merveilleux moyen d’économies, de rencontres et de découvertes. Cependant, dans beaucoup de pays, ce n’est pas légal (et plus ou moins toléré). Aussi, par respect pour ces pays et leurs habitants, je ne donnerai pas l’endroit exact où nous avons pu dormir. Cet article n’a pas vocation à servir d’application de camping sauvage.
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Ceci étant posé, je me permets quelques conseils. Car le camping sauvage, c’est avant tout une histoire de délicatesse.
C’est descendre en roue libre dans un village, pour ne pas déranger les siestes.
C’est se mettre en pente, sur la terre avec les graviers, pour ne pas écraser l’herbe du pâturage.
C’est se poser au bar avant, pour créer la discussion avec les habitants du coin.
C’est se coucher tard et se lever tôt, sans bruit, sans feu et sans laisser aucune trace de notre passage.
Un peu de respect, des sourires et du bon sens font le reste.
130€ d'essence. Hééé oui. Une consommation de Zontès, ça te permet de rigoler deux fois entre chaque plein : quand tu attends que les copains fassent les leurs ! 1,9€/L (France/Allemagne) - 1,7€/L (Italie/Autriche) - 1,4€/L (Slovénie) à l'été 2022.
70€ pour 5 nuits de camping: 2 en Italie et 3 en Slovénie. Compte entre 10 et 16€ la nuit.
42€ pour une nuit d’hôtel en Allemagne, petit déjeuner, évier bouché et peignoir compris.
33€ de péage pour traverser l’Italie, grosso-modo de Milan à Portogruaro
300€ pour manger et boire. Compte une grande consommation de cafés et de bières, ainsi qu'une alimentation à base de sardines, mayonnaise et pain-de-mie. Et quelques petits restaurants de temps en temps : faut bien goûter !
- Passer la frontière italienne par le Col du Petit St Bernard (2188m)
- Boire une Sambuca au bar du Circolo Operaio Luzzognese à Luzzogno
- Manger une pizza à Pizza e Sapori Soles, à côté de la basilique d’Aquileia
- Visiter Gornji Grad et boire une bière au Gostišče Trobej
- Prendre les pistes autour du Mont Golte
- Cracher des pistons en montant la B109 autrichienne, en direction de la Slovénie.
- Se baigner dans l’Adriatique sur les rochers de la pointe de Piran
- Prendre les pistes autour du mont Snežnik
- Demander un « bela kava » au Gostišče Inn Mašun
- Traverser le parc du Triglav par le col du Vršič (1611m)
- Boire un café à l’Osteria Al Cacciatore, à Cergneu Supérior
- Commander des croissants à la crème au Bar Ristorantino alla Pesa, à Segusino.
- Traverser le Parco Nazionale delle Dolomiti Bellunesi par la Valle del Mis.
- Demander un Vermut au Caffè Garibaldi d’Agordo
- Remonter par les entrailles de la terre sur la SP99, de Bolzano direction Valas
- Demander (de votre plus bel Italitrichien) des « canederli allo speck » au Linger Alm, à Meltina - Prendre des bouteilles d’oxygène sur la route du col du Hahntennjoch (1894m)
- Commander un chocolat chaud au Gasthof Bergheimat un jour de pluie, à Boden
- Se perdre dans l’Allgäu et faire une pause au Zur Traube de Frauenzell.
- Traverser la Schwarzwald.
- Atterrir en France à l’aéroport du Marinos Kebab d’Altkirch
Tracer sa route sans matos.
- Bryan : téléphone tactilo-gpso-interneto, qui fonctionnera au bout du 4e jour.
- Charlie : GPS TomTomRider, qui n’indique que les routes de France.
- Lucille : un téléphone à touches qui fonctionnera au bout du 12e jour.
Il faut croire les panneaux :
-Le « impasse » t’indique que tu arrives chez quelqu’un. -Le « rando 2h » indique que tu vas en chier. -Le gros rond blanc avec un liseré rouge… non, ce n’est pas l’autocollant qui s’est décollé. Ça veut dire que ça ne passera pas. MÊME à moto.
Partout, tu trouveras des places motards pour te garer (et souvent gratuites).
Deux cartes papiers : une pour la France et une pour l’Italie (il y a la Slovénie aussi dessus)
En Italie, les radars sont partout et souvent vides, avec un bel autocollant imitation « objectif d’appareil photo » collé dessus. Par contre, les flics à la jumelle cinq mètres après sont bien réels.
En Slovénie, tu dois te procurer une vignette (7€ pour 10 jours) pour circuler sur les autoroutes. Mais ne te précipite pas : tu peux largement t’en passer, même pour rentrer dans Ljubljana.
En Slovénie, si tu veux des sourires : remballe ton anglais et achète-toi un dico « Francosko-Slovenski ».
En Slovénie toujours, on n’a pas croisé une seule enduro sur les pistes et on suppose que ce n’est pas très bien vu. Malgré tout, aucun problème sur les chemins : habitants, cyclistes et randonneurs avaient toujours le sourire en nous voyant (en même temps, fallait voir nos dégaines…)
1-Top départ : Nanteuil-en-Vallée - St Bonnet le Chateau
Distance : 415 KM
Difficulté : 2/5
Route et chemins blancs
C’est parti ! On se lève tôt et bien sûr, on part tard. Dernier coup de serflex sur les sacoches décousues de Bryan, un plein complet à la station essence et on part. Droit vers l’est, soleil dans la visière. Charente, Haute Vienne, Creuse, Puy-de-dôme, Loire. On avale le macadam comme des gamins, sur des routes vallonneuses, bordées de forêts et de chemins qui appellent à l’après-midi rigolade. On détourne les yeux, on se concentre.
Objectif Slovénie. Je suis rassurée d’emblée par la patate que développe la Zontès. Bien sûr, je ne dépasse pas le tracteur double-remorques en un pif-paf de 4 secondes. Mais ça avance et puis bien. Y’a du couple, c’est maniable. Sur le premier chemin blanc pour trouver le spot dodo, une tenue de route impeccable. J’ose les 50km/h. La bête est apprivoisée avant la fin de la journée et je m’endors rassurée.
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2-Monter les Alpes : St Bonnet le Château – Bourg St Maurice
Distance : 332 KM
Difficulté : 1/5
Route
On plie les tentes avec le lever du soleil. La rosée a tout détrempé, on enfile des pulls. Le premier café en boulangerie est salvateur. Ce soir, objectif Italie !
De l’Isère à la Savoie, les routes commencent à tourner et surtout, à monter. On fait gentiment chauffer nos bandes de peur. On évite les voies rapides au maximum, histoire de manger un peu de montagne tout de même.
Grignotage de sardines et de saucisson dans un coin de route forestier, avec vue sur un virage. On compare la classe de la sportive à l’admirable boucan du scooter. On jauge les angles, on se compare. On regarde ébahis le troupeau de cyclistes s’éclater les mollets en grimpant. Passé Albertville, nos postérieurs encore fragiles réclament du sommeil. On trouve un coin de sentier le long d’un ruisseau, motos garées entre les pins.
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3-Descendre les Alpes : Bourg st Maurice - Zubiena
Distance : 208 KM
Difficulté : 2/5
Route
Ah, le col du petit St Bernard. Culminant à 2188m. Je pousse la 3e à fond, rétrograde en 2e pour passer les épingles à 35km/h, relance aussi sec. Bon, oui, je fais la course avec moi-même. Une fois calée derrière une Fiat Punto qui roule au milieu, je profite du paysage, des pics glacés qui se dévoilent. J’arrive tranquillement à Rosière pour me joindre à la pause fruits secs. Charlie me gratifie d’un « déjà là ?!» surpris. Le fourbe. Je note consciencieusement de lui mettre la misère à la prochaine escapade.
Les dernières courbes sont blindées, on roule au milieu d’un convoi de voitures, de motos… et de vélos. Bonne idée de partir en plein mois d’Août. On n’est clairement pas les seuls à chercher le frais.
Une dernière clope en France, vue sur la vallée et c’est la redescente. Vision de l’esprit ou pas, en Italie, les lacets n’ont pas le même angle. Le goudron est plus granuleux. D’un coup, les panneaux deviennent sibyllins et puis étrangement, les verts indiquent des routes en A… Nom d’un marcassin ! À grand renfort de gestes, la petite troupe s’arrête à un stop. Les panneaux verts, c’est les autoroutes. On repart méfiants, suivant les panneaux bleus.
Pause à Aosta dans un burger « contemporain ». Aah, le fameux scan code qui sert de menu…
Avec Charlie, on tourne nos yeux suppliants vers Bryan, qui pagaiera quelques minutes avec le wifi pour ouvrir le menu. On choisit au pif. Trop de touristes et trop « contemporain » pour moi ce burger.
On continue en direction de Biella. Les petits radars oranges pullulent sur les bords de route, et les limitations de vitesse font des blagues : 40, 50, 70, 50, 60… On se cale derrière une voiture italienne qui semble avoir une idée précise de l’allure à garder… et des endroits où freiner.
Entrer dans Biella, c’est rentrer dans la jungle.
Le goudron effrité laisse place aux pavés sans lignes blanches. Ça dépasse de tous les côtés, collant les pare-chocs, tournant sans crier gare. On tombe enfin sur un office du tourisme qui nous indique les campings avoisinants. On repart sans GPS fonctionnel en quête d’indications géographiques précises sur les panneaux (bleus) italiens.
Perdus au milieu d’un petit village, une sympathique italienne en SUV noire nous propose de la suivre jusqu’au camping. Si cette aventure t’arrive un jour : accroche ton estomac, ne cligne plus des yeux et n’oublie pas de respirer. Quartarao est un petit rigolo en comparaison de madame. On la suit avec peine, moteurs hurlants, dérapant dans les graviers, frein arrière en virage, toujours plus vite pour ne pas la perdre des yeux. On arrive au camping : « Nature is Future ». Haha. Ils ont de l’humour ces italiens.
L’endroit n’est pas si mal. Les emplacements sont libres, sans délimitations. L’accès à toutes les commodités et à l’électricité est compris. La douche chaude est un régal. Propres et enfin en Italie, on est content. C’est le début du voyage. Notre première rencontre avec un motard le confirme : Frédérique, allemand, en GS, qui vient de se faire les pistes des Alpes avec son père. Sympathique, on le questionne longtemps sur l’Italie, ses voyages, ses expériences.
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4-Le village italien : Zubiena - Luzzogno
Distance : 109 KM
Difficulté : 3/5
Route et ruelles de montagne
Le lendemain matin, c’est mon moment grasse-matinée, pendant que les hommes retournent à Biella chercher des plaquettes de freins avant pour le DR. À leur retour, ils me ramènent le petit dico italien/français, ainsi qu’un sérieux brief sur la « conduite à l’italienne », qui s’avéra très utile.
Ouvre grand tes oreilles : c’est vrai pour tous les véhicules et surtout pour les motos.
Tu roules à droite de ta voie, ça veut dire « dépasse moi ». Et tout le monde te dépassera.
Tu roules à gauche de ta voie, ça veut dire « je dépasse ». Et tout le monde se poussera.
Tu roules au milieu de ta voie, ça veut dire « je suis serein ». Et ne lâche plus tes rétros du regard.
Conduire à l’italienne, c’est être ingénieur en dynamique des fluides. Pas de klaxon, pas de clignotants, tout dans les rétros.
Aujourd’hui, on cherche le typique petit village italien des montagnes. On vise les bords du Lago d’Orta. La route est belle et j’enrage de ne pas pouvoir suivre le rythme. Surtout quand deux combinaisons en cuir, perchées sur d’énormes sportives, me dépassent dans un souffle, entraînant un Charlie et un Bryan joueurs dans leurs traces. Omegna est pleine de touristes en mal de fraîcheur. Je mange ma rage et mon spéculos en boudant. Je sais, je n’ai pas le droit. Mais bon, ce petit coup de réalité dans la face fait mal : la Zontès manque d’un peu de jus pour avaler les montagnes au rythme qu’on avait imaginé. Tant pis. On fera peut-être que l’Italie…
On décide de grimper plus haut. La route devient étroite, bosselée, serpentant en bord de falaise. On monte et j’arrive à coller l’arrière-train du Fazer. Petit coup de fierté à chaque épingle, je pousse la Zontès jusqu’en haut. Regain de patate. On traverse le petit village de Luzzogno, croisant des visages fermés. On s’aventure sur un bout de piste. Il se fait tard, on hésite. On plante les sardines ici ?
Charlie propose avant toutes choses d’aller se poster au bar. Quelques « Buongiorno ! », on tombe les cuirs et les sourires arrivent. On commande trois bières tant bien que mal (à retenir : bibitte veut dire boisson et non pas bière…). Assiette de jambon offerte, vue sur les montagnes... et grâce à la magie de l’internet, on demande conseil pour un coin d’herbe où poser les tentes. Ni une, ni deux, la moitié du bar se met à discuter pour nous dégoter l’endroit parfait. Une fois installé, on redescend au village à pied, finir la soirée au bar.
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5-Tracer coûte que coûte : Luzzogno - Aquileia
Distance : 551 KM
Difficulté : 4/5
Route et Autoroute
Cette ambiance festive aura fini de me convaincre : aujourd’hui, la Zontès traversera l’Italie, jusqu’en Slovénie. Revigorés, on découvre le plaisir du caffè americano : plus dilué que l’expresso… mais qui attaque un peu les organes tout de même.
Le reste de la journée s’enchaîne rapidement par l’autoroute. Allongée sur le réservoir, tête au niveau du guidon pour manger moins de vent, poignée dans l’angle. Je me sens escortée comme une star : un acolyte devant pour lancer un dépassement, l’autre derrière pour bloquer les rageux. Heureusement, la plus part des autoroutes italiennes ont trois voies. Les crampes au dos et aux mollets arrivent, les moteurs chauffent. Après 7h de route et quelques pauses, on sort quelque part après Portogruaro.
Esseulés, on navigue au radar grâce à un clair de lune splendide. Ce soir, c’est camping à Aquileia. Les tentes posées, on lâche les motos pour aller chercher de quoi manger à pied. Nos genoux ne sont plus sûrs de l’angle à adopter… c’est donc d’une virile démarche de cow-boys que l’on rejoint la Basilique d’Aquileia. Une foule guindée déambule sur la place, dégustant du vin sur de gros tonneaux de bois, face à un concert de reprises rock. Un peu plus loin, on tombe avec bonheur sur un pizzaïolo, un vrai. Preuve en est : des photos de lui plus jeune, épinglées sur le frigo des boissons. On l’y voit faire tourner d’un doigt ses pâtes à pizza monstrueuses. C’est cliché, mais on se régale, sur les accords italiens des Sex Pistols.
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6-L’Adriatique : Aquileia - Pomjan
Distance : 112 KM
Difficulté : 1/5
Route
Ce matin, on boit le café avec nos deux voisins néerlandais. Tatoués et percés, les deux bonhommes nous racontent leurs aventures d’un anglais roulant et grave. Une Honda Valkyrie et une Harley Davidson trônent, scintillantes, au milieu de la carrée. Les bécanes sont énormes et avalent un généreux 22L au 100km. On présente les nôtres un peu timidement. N’ayant pas de chrome pour charmer l’auditoire, je me contente de vanter les 2L au 100km de la Zontès.
La Slovénie nous ouvre les bras. On longe la côte italienne jusqu’à Muggia, à quelques pas de la frontière. C’est joli : murs colorés, sculptures discrètes, fleurs au balcon. La mer passe entre quelques bâtiments : ce sera notre petit Venise à nous.
On repart le long de la mer. C’est blindé de croates, de slovènes et d’italiens en maillots de bain. Un vrai charivari de couleurs et de langues, étendu sur les petites plateformes en béton qui parsèment la côte. La mer est bleue, le soleil nous éclate les yeux. La route commence à grimper et les panneaux passent d’incompréhensibles, à illisibles. Des accents étranges viennent moucheter toutes les lettres et je suis bien en peine de les prononcer.
On se fait ainsi toute la côte slovène, de Ankaran à Piran. 46km de vallons et de falaises, qui traversent autant de petits villages et d’autoroutes que de vignes et d’énormes ports marchands. Bien que bondée, la ville de Piran est magnifique. C’est un dédale de petites ruelles médiévales, où des mascarons très italiens se planquent sous les arcatures. La ville est dessinée comme une pointe s’avançant sur la mer, bordée d’énormes rochers qui servent de plage à la foule de baigneurs. On ne résiste pas à la première baignade dans la mer adriatique.
Ah oui ! Et si tu viens à Piran en moto, ne prête pas attention aux panneaux de parking payant : l’accès est gratuit pour les deux roues (il faut passer à côté des barrières).
On remonte avant la nuit pour se trouver un coin où dormir. Direction l’est pour éviter le tourisme du littoral, on vogue au hasard dans les vallées slovènes. Petits villages en pierre, rangs de vignes, pommiers, moutons… la région devient vite très belle et vivante. Perdus au détour d’une vigne, on croise avec étonnement notre premier autochtone slovène : marcel blanc, gros chien noir, lunettes de soleil et voix rocailleuse. D’un anglais bien plus assuré que nous, il nous indique un endroit apparemment magnifique. On suit ses indications : en haut d’un chemin, quelques bancs cramés au pied d’un poteau, où pendouille une caméra arrachée. C’est tranquille, mais ça sent un peu le squat techno. En arrière fond, une musique confirme nos doutes. On poursuit malgré tout la piste, pour tomber sur la plus belle vue qu’on puisse trouver. Perchés sur une colline, adossés à une petite forêt buissonnante, on profite d’une vue imprenable sur la ville portuaire de Koper et sa baie sur l’Adriatique. Les DJ sont plus loin qu’ils n’y paraissent et on s’endormira bercés par les échos du boum-boum.
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7-Piste et tronçonneuses : Pomjan - Bač
Distance : 128 KM
Difficulté : 4/5
Rout et piste
Aujourd’hui, on pointe au hasard une montagne sur la carte. Ce sera le Snežnik. On tente de faire sourire la serveuse, en lui demandant quelques mots slovènes pendant le café. Un genre de « dobriden » pour bonjour et de « rouala » pour merci.
Les routes slovènes sont franchement adorables. Ça serpente entre les collines et les petites baraques colorées. Toutes ont un jardin (doté de pieds de haricots immenses !), qui se déploie même au milieu des villages. On traverse de plus en plus de forêts, quand, sans prévenir, la route devient piste. Pour la suite, on serait bien en peine d’indiquer la route exacte qu’on a empruntée : toujours en direction de notre montagne, on est montés à travers les arbres, sur des lits de petits graviers roulants. Blancs de poussière et les épaules un peu crispées, on est arrivés souriants sur un petit parking, donnant accès à plusieurs chemins de randonnées montants vers le fameux Snežnik. Trop morts pour avaler les deux heures de marche promises, on s’est contentés d’une sardine sur pain de mie, d’un café soluble et d’une petite sieste sur les bancs.
La redescente nous fait traverser des pistes incroyables en plein cœur de la forêt: plutôt larges, parfois terreuses, souvent gravillonneuses, passant à côté de quelques petits chalets paumés. Après deux heures de piste, on débouche brusquement sur une route goudronnée, à l’angle du Gostišče Inn Mašun. Une hallucinante montage de tronçonneuses enfoncées dans des troncs, orne l’entrée du bar. À l’intérieur, outils à bois et photos d’antan sous la neige côtoient une énorme peau d’ours épinglée au mur. Bienvenu au pays des buches et de la chasse ! On se cale dehors (à côté du mini-golf zen) pour avaler nos cafés au lait, en savourant cette atmosphère bucheronne.
L’image de cet ours, certes plat (mais d’autant plus grand), me conforte dans l’idée de ne pas tenter le camping sauvage en haute montagne. Discuter avec un policier slovène est une chose, discuter avec un ours… en est une autre. On redescend en suivant les panneaux Ljubljana. Après un passage à la supérette de Knežak, on trouve un coin de champ protégé par une haie, en direction de Bač.
Une fois installés, on fera la rencontre d’un français en Kangoo, revenant d’un festival de techno hongrois. Sympathique. Après nous avoir partagé ses mauvaises expériences hongroises, ce fut le tour des menaces d’amendes et de nuits courtes, tirés du duvet par les flics slovènes. Pour lui, les teufs-teufs sans frontières seraient légitimes partout. Pour ma part, après avoir parlé de l’Italie, j’ai clos la discussion sur son « de toute façon, on chie sur les italiens non ? ».
Heuu... non. Bah non. Je me coltine pas 2 000 bornes à moto pour aller chier sur les gens chez eux.
La nuit sera tendue. Le spot où nous pensions être peinards est en fait repéré sur une de ces fameuses applications de camping sauvage. Ce qui fait qu’au milieu de la nuit, pas moins de 5 véhicules se sont retrouvés garés à une centaine de mètres de nous. Bien en vue de la route, les enceintes crachant du rock italien jusqu’au bout de la nuit. Cocasse. Je me suis surprise à plaindre les policiers slovènes…
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8-Les premières fois: Bač -Smlednik
Distance : 103 KM
Difficulté : 1/5
Route
Ce matin-là annonçait une grande journée. Forts de nos 3h de sommeil angoissées, à rêver de policiers déguisés en ours, il pleuvait. De ce petit crachin breton qui nous manquait tant. Tentes mouillées pliées, nous repartons en vérifiant qu’il n’y ait pas d’habitations trop proches. De sorte à gratifier nos discrets voisins de quelques discrets watatas bien gras. Vicieux nous diras-tu. Certainement.
On a continué en direction de Ljubljana, la pluie finissant de détremper les routes. Charlie admettra que son pneu arrière, pas loin du slick, mérite d’être changé. Un grand slovène en Ducati nous indique le lieu et nous filons vers Brezovica.
Paf patatra. Première chute du voyage pour ma part. Un demi-tour sur route pentue et humide, le guidon qui se coince dans le sac de réservoir et c’est la vautre. Je bénis les crash-bars installées d’origine sur le scrambler, qui ont sauvé la carrosserie. Prompts comme si ils avaient fait ça toute leur vie, j’ai à peine le temps de rouler sur moi-même que mes deux acolytes postent leurs meules en haut et en bas du virage, clignotants cliquetants. Bryan m’aide à redresser la bête de 160kg tristement échoué. Je m’en sors avec quelques rayures, le dos plein de terre et un trou dans le pantalon de pluie.
L’arrivée de nos trois brelles mouillées, terreuses et fumantes a dû en étonner plus d’un, au milieu de cette zone commerciale luxueuse dédiée au pneu. Charlie enfile son Metzeler de qualité autour de la taille et tente de trouver quelqu’un qui veuille bien installer la chose. On traine un peu sur le parking en compagnie de deux gars du coin qui vivent la même galère. Une ribambelle de monteurs de pneus voiture nous observent, pendant qu’un de nos compagnons de galère harcèle son répertoire, en quête d’un monteur de pneu moto. Rien à faire : c’est le weekend de l’assomption. Tant pis, le pneu est sanglé à l’arrière du Fazer déjà surchargé et on file se réchauffer un peu plus loin dans un kebab.
Ce soir, c’est camping. Trempés, on jette vite notre dévolu sur le Dragočajna, à 10 minutes de la capitale et on pose nos guêtres pour la soirée. Je laisse la Zontès et grimpe à l’arrière du Fazer pour une virée dans Ljubljana.
Je te l’ai dit, c’était une grande journée. Au détour d’un feu rouge, pas très concentré (il faut bien l’avouer), Bryan sur son DR, accélère au feu vert. Sans remarquer que la voiture devant… reste sur place. Paff. Son pneu avant vient s’enfoncer dans l’arrière de la voiture toute noire et toute neuve. À part une baguette chromée fendue, pas de dégâts. La police est appelée par le conducteur slovène et on s’attend un peu à voir débarquer une garnison en gilet pare-balles et surarmés, à la française. Que nenni : tee-shirt, casquette et grosse ceinture, c’est un duo de policiers presque souriants qui arrive, pour contrôler la paperasse et gérer la traduction. Premier constat de la vie de Bryan. Une heure plus tard, l’affaire est pliée.
Bien refroidis cependant, la virée à Ljubljana s’annonce moins glorieuse que prévue. On déambule dans la ville blindée de touristes. Les immeubles sont beaux, les sculptures aussi. On y croise des musiciens de rue, un match de basket au milieu du centre-ville et des boites de nuit aux accords français. Une bière à Divine, le long des quais et nous rentrons au camping. La journée a été longue.
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9-La capitale: Smlednik-Ljubljana-Smlednik
Distance : 0 KM
Difficulté : 1/5
Route
Journée glandouille. On lave les chaussettes et on mange un bœuf-gnocchis déglacé au vin rouge, savamment préparé par Charlie sur le réchaud. On repart sur les traces de la capitale, de jour cette fois-ci, et sans Bryan (qui reste buller à la rivière du camping). La ville semble peuplée de français (moi qui cherchais l’exotisme…), ce qui est assez déroutant. Les bâtiments sont tous grandioses, dans un mélange de styles architecturaux assez variés (et colorés). En suivant le fleuve Ljubljanica, on tombe enfin sur un coin de capitale plus tranquille : quelques tags fleurissent. Des croix gammées, des A majuscules et des marteau-faucilles se bastonnent à coup de peinture. On entend parler slovène et italiens. Des mamies passent à vélo.
Au détour d’une rue, je tombe sur la pépite que je cherchais: un dictionnaire slovène/français. Je m’y plonge quelques temps plus tard en terrasse et comprends d’un coup le manque de réactions à nos essais de « dobriden » : on dit « Dober dan ». Ou juste « Dan ». Le merci « rouala » s’écrit « hvala » et se prononce en aspirant le h et en roulant le v. Bref, d’un coup, tout s’éclaire. Je rentre ravie de cette balade urbaine.
10-Fuir les touristes : Smlednik - GornjiGrad
Distance : 69 KM
Difficulté : 1/5
Route
Ayant fait le plein d’urbanisme, de tourisme et des gourdes d’eau, nous fuyons la foule, en direction de l’est. Les routes un peu déglinguées, mais toujours superbes, nous font traverser ruisseaux, forêts, collines. Certaines granges de bois magnifiques se prolongent au-dessus des petites routes, nous faisant passer sous leur arche. Chaque village semble abriter une église ou une chapelle dont le clocher rutilant, souvent couvert de cuivre, se tortille dans des courbes différentes.
Aucun de nous n’a d’intercom. Bien heureux les copains, car je passe la journée à marmonner en slovène dans mon casque. Je prononce inlassablement tous les noms de villages que je croise, m’appliquant sur tous les ts, tch, et ch répérés. À la fin de la matinée, je pense réussir à développer un « hvala » plutôt correct.
La route nous emmène jusqu’au charmant village de GornjiGrad. On s’arrête au Gostišče Trobej, attirés par l’enseigne motarde sur la porte et le gros scooter rouge Aprilia garé devant. Mon « Dober dan !» assuré fonctionne et je décroche enfin un sourire slovène. Le serveur se révèle très sympa et on discute longuement en sirotant cafés et bières, sur l’après midi qui avance. Bryan repère une tatoueuse juste en face du bar et Charlie demande conseil pour trouver un endroit où monter son pneu. Il dégote un plan dans un village pas loin pour demain. Rendez-vous pris pour les uns et les autres, on part en quête d’un petit endroit tranquille où poser la tente, quelque part le long du Savinja.
11-Pneu, pistes et tatouage : GornjiGrad - GornjiGrad
Distance : 53 KM
Difficulté : 3/5
Route et pistes
Le matin est frisquet et on ne tarde pas à se mettre en route vers Nazarje. On y trouve le Pneumatic Center Tkavc conseillé par notre serveur en or. La moto se glisse entre un poids-lourd et un van, dans un petit garage peuplé de resplendissants calendriers. Ça ne parle pas anglais pour un sou, mais un « dober dan » et un « gùma » (pneu) suffisent.
L’affaire est rondement menée et on repart en direction du mont Golte. On roule tranquillement entre de petits villages où des mômes jouent au foot, cherchant la piste qui nous permettra de monter au plus haut. On passe des chemins de terre au milieu des pins, bordés de petits sentiers de randonnées.
On finit par trouver un chemin un peu raide, blindé de graviers et d’ornières. Le Fazer se prend pour une Multistrada, la Zontès pour un Freewind, et le DR… pour une enduro. On pousse jusqu’en haut, arrivant à un superbe point de vue au pied d’une ferme slovène. Un grand signe de la main nous rassure, on n’a pas l’air de déranger. On profite de la vue, avant de redescendre doucement. Au détour d’un virage, Bryan se motive pour tenter le franchissement d’un petit rigadou. On filme la scène, grand sourire à la clef. Ayé, prêt pour le TET !
Retour à GornjiGrad, où Bryan peut enfin réaliser son autre objectif : se faire tatouer. En attendant, on explore le village avec Charlie. Petites ruelles, la Katedrala Mohorja in Fortunata et sa façade courbe, un petit pont en bois, des pierres sculptées et un chevalier en marbre. Un savant mélange de culture italienne et slave se fait sentir. La fin de journée se finit en goutant le schnaps local, dans la bonne ambiance de la pizzeria du coin.
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12-Sommet Slovène: GornjiGrad- Trenta
Distance : 190 KM
Difficulté : 3/5
Route
Aujourd’hui, c’est Autriche et parc du Triglav. Après avoir glandouillé pendant quelques jours, il est temps de se remettre en selle pour manger les kilomètres vers l’ouest. Le panneau « Republik Österreich » dépassé, on se retrouve sur un autre versant des Alpes, aux pointes soudainement plus acérées. Le spectacle est époustouflant. Les routes nous surprennent par leur simplicité : peu de radars, des limitations qui oscillent entre 70 et 100, un goudron nickel, pas un rond-point, ni un feu. On roule dans un décor de chalets fleuris, ravis d’avaler la route.
Pour l’anecdote, sache que nous avons assidument travaillé à la réputation française : nous arrêtant manger italien (en Autriche), Bryan entame la discussion en anglais avec une serveuse. Nouveau pays, nouvelle langue : investit dans son désir de compréhension d’une nouvelle culture, il demande comment dire « merci beaucoup ». La serveuse, souriante, lui répond « danke shön ». Et Bryan de répondre, tel un Jean Dujardin méticuleux : « Ah tient, on dirait de l’allemand !». Et la serveuse de lui préciser qu’en Autriche… on parle allemand.
Ceci étant fait, nous sommes repartit en direction de la Slovénie. Je n’ai pas trouvé d’informations concernant le dénivelé de la B109 qui fait traverser la frontière, mais il faut savoir que la Zontès est resté en fond de 2e à 30km/h, crachant ses pistons, que le DR n’a pu dépasser les 70km/h, et que le Fazer est resté bloqué à 80km/h derrière une voiture crachant sa suie noirâtre. Intense.
Sur les conseils de deux motards allemands, nous avons continué vers le col du Vršič (1611m), plus haut col de la Slovénie. Laisse-moi te poser le décor : imagine une route étroite, serpentant et montant à travers la forêt pour atteindre les plus hautes montagnes de la Slovénie. Le goudron est lessivé, marqué par le gel et laisse place dans chaque épingle, à des pavés remarquablement polis et disjoints. Maintenant, ajoute des voitures, des camping-cars, un défilé de Harley (drapeau slovène au vent), des cyclistes, des randonneurs et des troupeaux de GS en combinaison jaune fluo. Un balai incessant qui monte et qui descend en tas, sans plus savoir où est le haut du bas. Tout bonnement incroyable.
Ravie d’arriver en haut (tant pour la vue que pour l’exploit), on marche jusqu’au point de vue. L’air est frais et le décor de haute montagne sublime : une moquette de gazon se glisse entre chaque rocher, l’horizon se découpe en une multitude de sommets à perte de vue. Le ciel est clair.
Plus bas, le camping du Kamp Triglav est cher, peu accueillant et plein à craquer. Mais il a le mérite de nous faire dormir sereinement, en plein milieu des montagnes du Triglav. Et ça, c’est tout de même un spectacle à ne pas manquer.
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13- La tempête: Trenta-Milies
Distance : 245 KM
Difficulté : 3/5
Route
Pressés de se sortir du marasme touristique étouffant, on avale un café à la machine et nous faisons voile en direction de l’Italie. On monte, cherchant le petit col mignon dégoté pour passer la frontière. Un panneau indique des travaux, surmonté du fameux rond blanc au liseré rouge. Mais la route n’étant pas barrée, on passe. La bande de goudron se fait de plus en plus étroite, tournant à flanc de falaise et parsemée d’énormes graviers (ou de petites pierres). Arrivés à mi-parcours, on descend de monture. Deux digues en béton barrent la route. Et derrière… deux belges et leur GS qui nous saluent. On rigole, on se serre la main, quelques vannes sur le mur de Berlin fusent. On regarde de chaque côté de la route, voir si ça passe. Raide et glissant. Sur ces entrefaites, deux cyclistes débarquent de derrière nous. Surprises par le rassemblement, elles profiteront néanmoins de notre déception à ne pouvoir faire passer les motos : ni une, ni deux, leurs vélos chargés de sacoches passent le mur. Quelques salutations belges plus tard, chacun fait demi-tour et redescend son flanc de montagne.
Entendant l’orage gronder, on enfile nos capotes de pluie et on emballe les sacs. Ça va tomber. On quitte la petite route sinueuse juste à temps : des seaux d’eau s’abattent d’un coup sur nos casques. Un véritable ruisseau dévale la route, que le vent de face se charge de nous renvoyer en pleine poire. On n’en mène pas large. La moindre ligne blanche devient une chute assurée et les rafales rendent toute trajectoire imprévisible. On finit par s’arrêter, les os en éponges, dans un refuge de type salle des fêtes. Le temps de fumer quelques clopes, on compare la non-étanchéité de nos tenues. On essore nos gants.
On reprend les motos sous un crachin essoufflé. Heureuse idée que de s’arrêter. Plus bas, c’est un sacré slalom qui s’offre à nous : des branches et des pierres dans chaque virage, des langues de graviers boueuses… la descente est laborieuse. On arrive cependant en bas, avec quelques rayons de soleil. Caffè americano et point météo avec le tenancier de l’Osteria Al Cacciatore, à Cergneu Supérior.
Vu le temps qui se prépare, on décide de rester au sud des Alpes et je pointe ce que je crois être un petit village à 130 bornes de là. Après tant de montagnes, les plaines italiennes nous semblent irrémédiablement mornes. On traverse des paysages desséchés, passant des ponts immenses au-dessus de rivières de graviers. Heureusement, les derniers kilomètres remontent dans le pied des montagnes. On découvre de superbes flancs de coteaux habillés de vignes et surmontés de grandes masures en pierre.
On arrive à Valdobbiadene en fin d’après-midi. Le petit village est en réalité une très grande ville touristique de fond de vallée. On prend le temps d’un martini devant les colonnades en pierre de taille, avant de grimper un peu plus haut. Les villages sont magnifiques, escarpés, nichés dans le roc. Le temps joue contre nous et il est trop tard pour croiser âme qui vive. On se trouve un petit coin de forêt discret où poser les tentes et on s’écroule après notre assiette de pâte à la tomate.
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14-Canederli, speck, brote et medecina: Milies - Meltina
Distance : 225 KM
Difficulté : 3/5
Route
Plus d’eau : pas de café ce matin. Le réveil est brumeux. On redescend lentement la montagne et les lacets d’asphalte matinaux peinent à m’ouvrir les yeux. La vue sur la vallée brumeuse, nichée dans un trou de forêt, est incroyable. Au Bar Ristorantino alla Pesa, à Segusino, le soleil se lève. Objectif : se remplir de café, de croissants à la crème et de beignets à la marmelade.
Deuxième objectif, la Valle du Mis dans le parc des dolomites. La route est peut-être trop sage, ou le ciel trop gris. En tous cas, peu de touristes ! Virages sympas sur un goudron en bon état. Énorme lac turquoise coincé entre deux massifs : le Lago del Mis. Montagnes en clair-obscur, éclairées d’un rayon de soleil sur fond de nuage noir. Le décor prête au silence.
Pause à Agordo, dans un café qui respire le Paris bucolique. Étalés sur les chaises métalliques de la terrasse, on regarde d’un air niais les moineaux se frotter les plumes dans une flaque. La tenancière du bar arrive dans sa Renaud blanche des années 70, nous dit quelques mots en français. On se marre en regardant avec envie les triporteurs Piaggo taper des sprints autour de l’église.
La route jusqu’à Bolzano se révèle incroyable. Une succession de cols, de virages, de petits lacs, de vues imprenables sur des forêts gigantesques. C’est un plaisir de rouler. Et un choc d’arriver en ville. Bouchon, foule, bruit. On se gare près du centre. Être ou ne pas être serein à l’idée de laisser ses affaires : telle est la question. Dans le doute, mes deux compagnons de route embarquent carrément leurs énormes sacs de réservoir.
Un antivol autour des casques et c’est bon pour moi. De toute façon, nos motos sont à notre image : recouvertes de guenilles qui ne veulent plus sécher, harnachées dans des sacs poubelles… la classe à la française. On s’en va boire une bière dans cette somptueuse ville italienne, aux panneaux écrits en autrichien. Enfin, en allemand. La ville est une superposition de délires architecturaux colorés, moulurés, sculptés. Même les toitures ne savent plus comment se tortiller. On échappe au gros de la pluie à la terrasse d’un café beaucoup trop cher et on s’échappe de Bolzano avec les derniers rayons de soleil.
Amateur de sensations, on te conseille cette route qui remonte vers Valas, à faire au coucher du soleil : un genre de tourniquet géant qui s’enfonce à moitié dans la montagne, pour en ressortir toujours plus haut. C’est un manège incroyable, avec, à chaque sortie de tunnel, la vue sur un Bolzano toujours plus petit, sur fond de montagnes. Spectaculaire.
On s’arrête à la nuit tombante dans une ferme-restaurant, passant la porte comme des chatons sortant d’un lac. Congelés, mouillés et affamés (le stock de sardines est vide). Mes yeux se perdent dans les petits rideaux rouges qui bordent les fenêtres : des cerfs dansants dans des cœurs rehaussés de dentelle. Une petite dame lâche d’un coup son assiette pour venir vers nous, tout sourire, ses grands yeux bleus écarquillés. Je bégaye un « dober dan », suivit d’un « mangiare » interrogatif, pendant que Charlie se lance dans un français aux syllabes bien détachées. Cette soirée sera inoubliable.
Perds-toi un jour de pluie dans ce coin de l’Italie, juste pour venir te réchauffer au Linger Alm.
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15-Au cœur de l’hiver: Meltina-Leutkirch Im Allgäu
Distance : 348 KM
Difficulté : 3/5
Route
Ce matin, café au Linger Alm. La dame aux yeux bleus arrive les bras remplis de pain, de marmelade, de « rolade » à la crème, et d’ « apfelstrudel ». On se gave jusqu’à plus faim, avant de prendre la direction de l’Autriche.
La route est longue, ensoleillée et bondée. Heureusement quelques motards sont de sortie : les copains se tirent la bourre. Je croise à nouveau des filles à motos (dans le sens : pas en scooter ou en passagère). On se fait des grands coucous un peu kitch, histoire de marquer le coup. La pause du jour se fait au bar Loki, quelques parts entre Nauders et Landeck, au beau milieu d’une fête médiévale. Le serveur nous ramène les cafés en chausson à clochettes, pantalon bouffant et bonnet pendouillant. Du biniou résonne de l’intérieur du bar. Et le voyage prend des allures de rêve déjanté.
Nous poursuivons la route en prenant la direction du col de Hahntennjoch (1894m). Là, j’ai bien senti que la Zontès commençait à m’en vouloir. Dans un décor de rayons de soleil solides, perçant d’énormes masses de nuages sombres, la route monte, sans discontinuer. Les virages serpentent, serrés, et une longue barrière métallique semble vouloir s’enrouler autour de la montagne. L’air se fait frais et l’oxygène plus rare. Nos motos peinent à trouver leur régime moteur, malgré le froid humide et collant qui se lève, ça chauffe. On se croit au sommet du monde.
À peine arrivés en haut, le ciel s’abat sur nos têtes. On suit l’écoulement, glissant plus que roulant jusqu’en bas du col. Le vent froid, la fatigue, la brume flottante, l’eau dans les chaussettes. Les épaules raidies par le froid, je conduis comme un pantin désarticulé, à deux à l’heure, serrant les fesses lorsque mon pneu arrière s’offre un aquaplaning ponctué d’à-coups d’ABS. Je ne sais plus qui de la moto ou de moi fait n’importe quoi. On arrive sans trop savoir comment à Boden, avec l’impression d’une après-midi canyoning dans les jambes. On se pose devant le Gasthof Bergheimat. On fume nos blondes slovènes, hagards, en regardant la pluie couler.
Le maître des lieux finit par sortir la tête, nous proposant dans un anglais impeccable des boissons chaude. Shnouik-shnouik, on entre faire couiner nos chaussures-éponges sur son sol carrelé. Saut dans le temps : boiseries, tables en formica, grands rideaux rouge et or. Charlie se croie dans Shining, moi, chez le père Noël. La baie vitrée est immense, avec une vue droit dans les montagnes. Nos chocolats chauds, recouverts d’une gigantesque montagne de chantilly arrivent. C’est l’hiver en plein mois d’Août, au cœur de l’Autriche. Je rêve de canapé, de craquement de bois et de chocolat, avec vue sur des neiges éternelles. Je pourrais rester là des heures.
On repart encore mouillés, à la faveur d’une accalmie. Toute la redescente jusqu’à Elmen est superbe. Dans un décor de forêts et de falaises, roulant au milieu de nappes de nuages, c’est hors du temps. L’Autriche et la pluie vont terriblement bien ensemble. La route 198 du fond de vallée qui nous fait rattraper l’Allemagne est plate, droite, encerclée par les montages. C’est bien, l’atterrissage se fait doucement. Je laisse mes cervicales se décrisper et lâche la pression sur l’accélérateur. Il pleut sans discontinuer.
On passe la frontière allemande sans rien voir d’autre que la délicate transformation des sommets en montagnes, des collines, en plaines rebondies. Le jour s’enfuit dans l’Allgäu. Face au soleil couchant, les routes détrempées se mettent à refléter la lumière et se transforment en gros rubans roses et brillants. On flotte dans un buvard d’aquarelle, virolant au milieu des collines verdoyantes, sur des routes rose-orangées.
Arrivée de nuit à Frauenzell. On vire nos capotes plastiques, les mèches humides plaquées sur un côté de la tête. On arrive du fond de la nuit, avec des démarches de superhéros. On accoste le patron d’un petit restau avec un « Gute nacht !». Auquel il nous répond « Buona sera !». Je lui commande « tri pivo » pour faire bonne mesure. Cette journée a vraiment une consistance étrange.
Entrent deux clients, il court nous servir les bières, nous tend un code Wifi et une adresse d’hôtel. Il nous parle de sa moto et de ses envies de voyages avec les yeux qui brillent. Il est polonais, sa femme n’aime pas la moto, alors il attend que son fils grandisse.
23h, on échoue à l’hôtel Eden : cher, vide, et glauque. Du folklore jusqu’au bout. La promesse d’un matelas, d’une douche chaude et d’un petit déjeuner à volonté nous ravis.
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16-Détour en Turquie: Leutkirch Im Allgäu - Altkirch
Distance : 348 KM
Difficulté : 1/5
Route
Après les caffè solides de l’Italie et les kava crémeux de la Slovénie : les kaffee lavasse de l’Allemagne. Ils auront au moins le bénéfice de bien se digérer, faute de m’ouvrir les yeux.
Jour de la séparation, on essaye de bien répartir les sacs. Dernières tensions de chaines et gonflage de pneus.
On est plus si loin et pourtant, il en reste des bornes. On roule, peut-être un peu trop vite pour ces routes allemandes bardées de radars et de limitations incongrues. On comptera les points dans quelques mois, quand nos excès auront traversé l’Europe.
En attendant, on passe avec précipitation devant des villas grandioses, des boutiques de bretzel, des colombages colorés, des sentiers de forêts, les falaises de la Schwarzwald. Jusqu’à finir nos barres de céréales quelques part après Fribourg. C’est l’heure de bifurquer : Bryan met la boussole au nord-ouest, Charlie et moi au sud-ouest.
La suite du voyage aurait pu se boucler rapidement : une nuit vers Vesoul et hop, le lendemain, retour au bercail. J’aurais donc pu arrêter mon histoire-là. D’ailleurs, tu peux t’arrêter là. Mais si tu es friand des galères de dernières minutes, la suite est pour toi.
Parce qu’une fois le Bryan parti, nos esprits embrumés n’avaient pas bien saisi que le GPS partait aussi (du coup). Celui de Charlie s’arrêtant strictement aux frontières françaises, on s’est rabattue sur la carte papier italienne, bien généreuse sur le tracé des frontières.
Question : quel besoin fondamental pousse un pays, à traduire les noms de villes d’autres pays, dans sa langue ? Parce qu’il aura fallu près de 4h de galères aux deux idiots que nous sommes, pour se sortir de ce pétrin. Coincés sur les voies rapides, sans jamais trouver la sortie. Bloqués par le Rhin, à deux pas de la France. Avec ces panneaux qui indiquent Basel, quand on cherche Basilea et qu’on comprendra plus tard que c’était Bale. Heureusement, juste avant de se farcir le péage pour la Suisse, braquage à droite : sortie St Louis. Soulagement général. Je vais m’offrir un tactile.
On pousse la route jusqu’au kebab d’Altkirch. L’atterrissage au pays se fait en terrasse : on écoute les vieux du coin bavarder en turc, le nez dans nos savoureux kebabs. Le voyage continue.
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17-La soupape crie au scandale: Altkirch - La Souterraine
Distance : 586 KM
Difficulté : /5
Routes et Nationales
Ce chauvin de GPS se décidant à fonctionner, on roule sans trop s’arrêter. Café à Delle, sous d’immenses tilleuls. Pause à Rougemont, au pied d’une fontaine dragon-chat. Pique-nique à Chemin, à deux pas du boulodrome. On avance, il n’est pas si tard : on se motive pour tenter d’atteindre la maison ce soir. Chalon-sur-Saône, Montceau-les-mines. On attaque la N79, plein ouest. Je mets un peu de temps à me rendre compte que les panneaux sont bleus. Les glissières de sécurité brillent au soleil. C’est quand une enfilade de plots oranges apparaît au milieu de la route que l’on comprend : la nationale se transforme en autoroute. Soit près de 200 bornes de travaux et de route limitées à… 70km/h.
Enfer. Certes, la Zontès fatiguant, je ne la pousserai pas jusqu’au 110. Mais 70km ! Bloqués derrière un camion, on se tâte du dépassement via les plots orange. Ça sent la connerie de fin de trajet. Mais avec un plot tous les 2m, en ralentissant légèrement… Les caméras partout nous calment assez vite. De l’autre côté des plots, pas une seule bétonnière, pas un gravier. La route est nickel. Les panneaux fraîchement déballés nous indiquent des péages tous les 10 km.
À Moulins, on se dit que ça va être très long. Arrêt au Burger King de zone commerciale, se remplir de gras, et faire une plongée dans le monde des smileys.
On repart de nuit, flanqués de nos capotes de pluie. Les phares de la Zontès inondent la route de lumière, avec la puissance d’un spot de stade de foot. Arrêt à la station essence. Café noir au milieu des poids lourds tchèques, il est minuit. On avale les bornes dans les ténèbres, sous l’eau, dans un couloir de plots orange et de glissières brillantes. C’est long.
Et là : le voyant moteur de la Zontès s’allume. Putain. Il est 2h du matin. On est à 100 bornes de la maison.
Je coupe gentiment les gaz, warning cliquetants et roule en tortue jusqu’à la prochaine sortie, heureusement pas si loin. Station essence Avia, celle des films : lumière au néon, pas un chat et le crachin.
Je démonte la selle, regarde la batterie. Je tourne autour de la bête sans trop savoir quoi faire, recrachant mon maigre savoir mécanique pour trouver la panne. Niveaux d’huile et d’eau bons, filtre à air inaccessible. On oscille entre la surchauffe, la mort d’une pompe à huile, ou même, de l’injection. On décide de dormir une heure en attendant que ça refroidisse.
Duvet dans l’herbe humide. Réveil 30 minutes plus tard, lorsque une grande blonde en robe à fleurs descend de sa vieille décapotable verte. Je cligne des yeux. Sa carte américaine ne passe pas sur la borne et elle doit être en Allemagne demain. Je tends ma carte, débloquant le pistolet d’essence. Elle verse une pile de pièces dans mes mains. Je regarde la décapotable disparaître dans la brume en fourrant la monnaie dans ma poche.
Tour de clef sur la Zontès, voyant toujours allumé. Pas de bruits bizarres, ni d’odeurs étranges. Mais dans le doute... Demain matin, appeler Mathieu, appeler la dépanneuse. Je n’ai même plus la force de pester. On s’écroule 2h de plus dans l’herbe, en attendant que le jour se lève.
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18-Le plancher des vaches : La Souterraine – Nanteuil-en-Vallée
Distance : 125 KM
Difficulté : 1/5
Route
J’ouvre les yeux comme si je ne les avais fermés qu’une minute. Le jour s’est levé avec une purée de pois à couper au couteau. Une double remorque de grumes remplit tous l’espace de la station. Clope au bec, le gars verse ses centaines de litres de gasoils, impassible. Je crame une blonde un peu plus loin, en attendant que Charlie ouvre un œil. Je n’ose pas tourner la clef.
Trois blacks dans une Citroën blanche déboulent de la brume. Charlie se lève, pendant que les gars tournent autour de la borne sans trop comprendre le fonctionnement. On s’avance pour les conseiller. J’ai l’impression de faire mon job d’été chez Avia. Pas de chance pour eux, le poids lourd a du pomper toute la cuve de gasoil. Les gars repartent.
Je trépigne. On tourne la clef. Plus de voyant ! Alléluia ! Je m’empresse de faire un tour de rond-point, en bénissant je ne sais quel dieu de la mécanique. On charge les motos. Devant nous, un homme en tongs et en tee-shirt traverse le brouillard, de nulle part vers nulle part, une guitare en bidon sur le dos.
Bien. Si je vois des Touaregs perchés sur des autruches, je me recouche.
Gros petit déjeuner à la Souterraine pour fêter ça. En sirotant nos doubles cafés allongés, on pose un diagnostic serein: la soupape déréglée qui gère mal l’arrivée d’air et d’essence. Aller. Sur ce principe, je roule à bas régime, sans jamais mettre l’accélérateur dans l’angle, les yeux rivés sur le voyant toujours éteint.
Visiter la Creuse dans un crachin brumeux après une nuit blanche, c’est un trip hallucinatoire gratuit. Les tracteurs sont vaporeux, les villages nébuleux. Quelque part entre Alice en Terre du Milieu ou les Hobbits au Pays des Merveilles. Chaque brin d’herbe te donne envie de t’allonger. Les bosses sur la route te donnent l’impression de montagnes russes. Un immense merci à Charlie, qui m’aura suivit, envers et contre tout, durant ces 4h interminables, à deux pas de la maison. Et à Mathieu (qui me parle encore) pour le prêt de cette incroyable 125.
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